mardi 23 janvier 2018

Samson, l'art et le combat

In Vivo 5



Sanson, l’art et le combat



Le concept In Vivo, c’est un voyage au sein du vivant, un observatoire de notre société à travers le regard des détenteurs de la culture populaire. Une culture de tradition, de transmission, orale, une culture à la fois endémique et universelle, une culture en voie d’extinction. Peinture naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part à la rencontre de ceux qui à la marge de notre société, en assurent pourtant les fondations. Vivant à la frontière de la pauvreté, ils possèdent une richesse inestimable : la liberté ; et nous montrent la voie vers une certaine forme de bonheur.



Ça faisait plusieurs années que je discutais avec Koky, un vieil homme du quartier Outumaoro à Punaauia. Un curieux personnage, à la fois peintre et guérisseur. Il se voulait l’héritier du fameux Tati, le dernier des mamaia. Aux fils de nos entretiens, il m’avait dévoilé tout un système de médecine traditionnelle, incorporant des formules et des schémas sensés venir de la nuit des temps. Pour Koky, on rentrait dans la tradition ancestrale pendant le sommeil. Le pouvoir de soigner était un don qu’on pouvait accepter ou refuser. Les enfants étaient choisis par les grands ancêtres. Le vieil homme parlait de filiations de l’âme un peu lourdes à comprendre…



Koky était partant pour se confier à ma caméra, et se livrer à une démonstration de ses pratiques. Les thématiques étaient la connaissance des organes, le calcul du remède, la recherche des plantes dans la brousse, comment identifier une plante toxique, la fabrication du remède et enfin la transmission de cette connaissance. Parce que Koky avait un disciple, Charles Pater. Mais lorsque nous sommes arrivés avec l’équipe, Koky a piqué une crise et nous a foutus à la porte, en criant qu’il avait des avocats en Amérique… On est revenus le lendemain, nouvelle crise… 



C’est comme ça que Samson s’est imposé. Samson est le fils de Koky. J’avais beaucoup entendu parler de lui avant de le rencontrer, par plusieurs personnes. Surtout de ses tableaux. Samson est connu à Tahiti pour ses peintures de coqs. Il peint des coqs avec une précision photographique, pour les chinois amateurs de combats de coqs. S’il est connu dans un certain milieu, il n’a jamais exposé ses œuvres dans une galerie. Les clients lui passent directement commande. J’avais aussi entendu parler de Samson comme tatoueur. Il tatoue des coqs. Il est aussi connu comme coiffeur à Outumaoro. Comme cuisinier ailleurs…



C’est chez son papa que j’ai rencontré ce personnage multifacettes. Dans la cuisine, il y avait une grande toile de lui accrochée entre deux étagères. Une toile plutôt singulière. Un christ blond drapé dans une tunique pleine de plis. Samson s’était acharné sur les drapés, il aime quand c’est difficile… Son christ était réaliste mais avait de grands yeux bleus tout droits sortis d’un manga… Le jeune homme a été chercher d’autres grandes toiles dans un réduit obscur, des toiles inachevées mais qui révélaient un vrai coup de patte. Comme son papa, il peignait à l’huile sur de la toile. Mais il n’avait plus trop le temps de peindre, il était trop occupé entre les coqs et sa copine, Hereia, une charmante jeune femme.


Le jeune couple était installé dans un joli fare vert clair avec une grande terrasse, sur une parcelle fleurie, dans une servitude tranquille. Chant des oiseaux et le bruit du vent dans les palmes. Ça changeait de Outumaoro. C’est sur la terrasse que Samson peignait, à la lumière du jour. Comme il n’avait plus d’essence pour la peinture, il utilisait du gasoil, versé dans un petit bouchon. Il avait une commande à honorer. Un coq de combat pour un client chinois.



Samson avait apprit tout seul la peinture, à force de dessiner les ombres des portraits, il était passé à la couleur. C’était facile pour lui la couleur. Il utilisait les couleurs pures, directement sorties du tube, posées sur fond noir, sans mélanger. Un bout de carton comme palette. Au hasard, comme la nature. Au hasard, mais avec une précision photographique. Les coqs ont des couleurs très rares. Pour moi ça vient du paradis. Il y a des gens ils ont des perruches, des inséparables. Il y a des gens qui nourrissent des lapins, des cochons d’inde… Mais nous non. Les tahitiens, c’est des coqs… Partout où tu vas c’est des coqs. C’est pour ça que nous on vend très cher les coqs. C’est moi le maître pour entretenir les ergots. Lisser, bien dur… Parfois on attrape des coqs sauvages, on enlève les ergots… On fait tout ça à la maison. Et on prépare ça pour les week-ends. C’est tout un travail… On va acheter des vitamines en pharmacie, au vétérinaire vacciner… Après on achète des fruits cocktail, sinon des bananes



Tous les juillets à la foire agricole à Vaitupa il y a des élevages, des vaches, des chèvres… Il y a des coqs. C’est là que Samson vendait des coqs. En fait c’est de la recherche. On essaie de trouver le super coq. C’est mon papa qui a fait des croisements. On essaie de ramener toujours la race. On fait des croisements pour avoir de la bonne race. Après ça donne des champions. Quant on s’occupe d’eux ils deviennent des spartiates. Naturellement agressifs, ils recherchent le combat et se battent jusqu’à la mort. Il existe plusieurs types de combattants. Le pamplemousse c’est un indien qui n’a pas peur des coups et des ergots et qui avance toujours dans le combat. En tahitien : moa faatito.



Samson enfourche son scooter pour aller chez Isidore, au gallodrome de Papara. C’est lui qui s’occupe des combattants. Tous les matins il faut masser les coqs. C’est là qu’on rencontre de vieux coqueleurs. Les anciens. C’est ça leur passe-temps. Maintenant il y a beaucoup de jeux, Nitendo, Playstation… Avant, non. C’était ça leur jeu. Un de ces anciens a commencé à quatorze ans, en 1948.
Pour en savoir un peu plus sur le sujet on va rendre visite à l’anthropologue Jean Guiart, qui étudie le Pacifique sud depuis la fin des années quarante. Pendant la guerre les gens n’avaient pas d’argent. Mais vraiment pas d’argent. Alors beaucoup de choses ont disparu provisoirement ou se sont aménagées et ont repris après. Ca jouait avant-guerre. La France gouvernait Tahiti en fermant les yeux sur tout ce qui aurait pu coûter de l’argent. On ne s’en occupait pas. J’ai encore vu la période où c’était vraiment interdit, où on sanctionnait les gens qui organisaient des combats de coqs. Depuis l’autonomie l’administration centrale ne s’en occupe plus. Et alors l’administration tahitienne ne s’en occupe plus. Parce que si elle y touche elle perd des voix. On a essayé de l’interdire mais on n’a pas réussi. Alors elle est tolérée mais normalement elle est interdite. Mais ça c’est fréquent les interdictions qui ne jouent pas de rôle réel, en Europe ça arrive aussi. Tout ce qui est interdit intéresse tout le monde. Les français et les polynésiens s’entendent bien sur ce plan-là. Ils n’obéissent pas.


Le combat de coqs a été introduit par les premiers immigrants chinois. Ici ça a prit partout, dans toutes les îles. Partout où il y avait un commerçant chinois il organisait un combat de coqs, dans la mesure où il avait des coqs de combat. Mais ce n’est pas un trait culturel particulièrement chinois. Ça ne vient pas de Chine. Le combat de coqs est extrêmement ancien en méditerranée et dans tout le sud de l’Asie, et en particulier les Philippines où c’était très organisé. On en trouve partout en Polynésie, avec toujours les même problèmes qui existent en Asie. Mais en Asie c’est souvent corrigé par le fait que c’est les femmes qui gèrent l’argent, et pas les hommes.



Il y a certains hommes qui n’ont pas le temps de voir les femmes, d’abord les coqs. Et quand ils rentrent à la maison ils se discutent avec les femmes. Tu passes le temps à être dans les coqs, tu passes pas le temps avec les femmes…



C’est Isidore qui entraîne les coqs, c’est lui qui coupe les plumes, c’est lui qui masse tout, c’est lui qui donne à manger. Pas un petit travail. C’est le propriétaire du gallodrome, Isidore. Un petit homme avec de grosses lunettes. Une choppe de bière blonde à la main, son chat sur les genoux. C’est lui qui a fait les croisements. Tous les matins il faut mettre les coqs en bas. Les sortir du poulailler et les placer dans des cercles de grillage. On leur donne pas à manger, on donne à boire seulement. On les entraîne, l’après-midi quand c’est finit on range. Demain matin pareil. La même chose. Mettre en bas. Tous les matins. Depuis vingt ans maintenant. Ça fait vingt ans qu’Isidore à cet endroit. Je voyais les combats de coqs qui traînaient seulement en dessous des manguiers. Là j’ai voulu faire quelque chose de bien pour les coqueleurs. Une arène. J’ai fait tout le nécessaire pour qu’on accepte mon combat de coqs. Hé ben c’est autorisé. J’ai pas peur que les gendarmes viennent. Les gens savent maintenant qu’ici il n’y a pas de problèmes.


Les samedis, le dimanche, les grands jours fériés c’est les grands tournois ici. C’est là que la population vient voir les grands combats de coqs. Les chinois, les français, les américains, les tahitiens sont dans les coqs. Il y a des chinois qui amènent de grands champions, des chinois riches. Les chinois ils sont forts pour le combat de coqs. C’est surtout les chinois qui jouent beaucoup.


J’avais huit ans, neuf ans, j’ai eu un copain qui maltraite son coq, qui l’a laissé au bord de la route. Pendant des mois je viens donner à manger, je soigne, après j’ai peur que mon copain me dit de ne pas toucher le coq, j’avais peur de lui… Après il y a un grand-père qui me dit prend le coq, emmène à la maison, tu dois le soigner, donner à manger et tout… Un mois après tous les copains ils ont amené des coqs chez moi. Mon coq il a rossé les cinq coqs en un jour. Un autre jour ils sont revenus. Mon coq il a rossé encore leurs coqs. Mon coq il avait un œil, mais c’était un champion. Il a tué huit fois. Après mon copain il s’est plaint, il voulait récupérer le coq. J’ai dit non, on a fait des croisements et j’ai eu un poulailler. Après on a eu des bons coqs. J’avais douze ans j’ai eu un poulailler. J’avais huit ans j’ai commencé, quatre ans plus tard j’ai eu un poulailler. Juste pour un coq.


Aujourd’hui Lindolf est un des grands amis de Samson. Un coqueleur de Punaauia. Ils se retrouvent pour entraîner les coqs. La date de ponte et les croisements de races sont notés au marqueur rouge sur les œufs qui remplissent la couveuse. Miami Pakistan espagnol, ça c’est pour le combat. Il faut éliminer les défauts de chaque poulet pour avoir quelque chose de parfait pour le combat. C’est un repère obligé pour chaque coqueleur. Quand tu vends ton coq à quelqu’un tu dis ta race mais c’est personnel, c’est toi et lui. Il y a des chinois qui demandent c’est quoi la race, nous on peut pas dire. Si tu dis c’est quoi ta race ça y est on peut te tuer. On va prendre une autre race pour te tuer cette race. Pour tuer un porto c’est un Espagne. Pour tuer un Espagne il faut un faisan. Pour tuer un faisan il faut du pamplemousse. Pour tuer un pamplemousse il faut un shamo. Pour tuer un shamo il faut un thaïlandais black. Papara, Papeete, Paea, tout le monde fait ça.



Un détail très important pour le combat, pour l’équilibre, c’est les plumes. Samson colle des plumes là où il faut. Un peu de colle chauffée au briquet pour que ça tienne. Ça évite que le coq tombe. Il faut aussi teindre le coq avant le combat, pour éviter qu’on identifie sa race. Pour perturber le coq on lui fait faire un huit. Après on le jette en l’air. On le tient à deux mains et on le fait courir sur place. On le perturbe pour lui apprendre à esquiver. On le fait tourner sur lui-même. A la longue le coq devient conscient. Un coq qui montre son gosier il est mort… Si il baisse la tête ça y est il cherche un moyen… Après ils ont des muscles bien durs comme des pierres…



Sanson, l'art et le combat
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean-Philippe Joaquim
Une production Emotion
26 minutes


Jonathan Bougard

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