In Vivo 3
Le concept In Vivo, c’est un voyage au
sein du vivant, un observatoire de notre société à travers le regard des
détenteurs de la culture populaire. Une culture de tradition, de transmission
orale, une culture à la fois endémique et universelle, une culture en voie
d’extinction. Peinture naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part
à la rencontre de ceux qui à la marge de notre société, en assurent pourtant
les fondations. Vivant à la frontière de la pauvreté, ils possèdent une
richesse inestimable : la liberté ; et nous montrent la voie vers une
certaine forme de bonheur.
Louis
Lalanne est né à Tahiti Papeete le 5 juillet 1953 de père français et de mère
paumotu de Ana’a. Sa mère était connue au Queens là où il y a aujourd’hui les
arrêts de truck au marché. C’était la grosse boite tahitienne, le Queens, à
l’époque où les légionnaires étaient rois. Ca castagnait de partout. Sa mère
était une de ces belles jeunes filles qui arrivaient des Tuamotu attirées par
les lumières de la capitale, aux tous débuts du CEP. Le père de Louis était un
militaire français qui arrivait d’Indochine, et qui est vite repartit vers
d’autres théâtres d’opération avec l’armée coloniale. Louis a été adopté par des chinois à l’âge de
un an. Le menuisier Li Chin Fa. Sa mère adoptive était demi chinoise demi
tahitienne. Le hakka est sa première langue et Louis le parle mieux que le
français. Cependant il n’a jamais vraiment tissé de liens avec la communauté
chinoise.
Louis
grandit à Raiatea, et vient poursuivre l’école à Tahiti en 1958, en pleine
période de trouble. On racontait aux écoliers que Pouvana a Oopa voulait brûler
la ville. Aujourd’hui, Louis se souvient de Pouvana comme de quelqu’un de
sincère, qui avait des convictions et qui a fait peur au général de Gaule.
C’est
à cette époque que Louis connait la pirogue, à travers un ami, Teiva Gérard,
qui deviendra plus tard l’entraineur de l’équipe Shell, et dont Louis aura
longtemps été le collaborateur technique. Il n’y avait pas encore de
fédération, il y avait des clubs inaccessibles au commun des mortels, il fallait être vraiment puissant pour être
un piroguier à l’époque. A l’époque il fallait dépasser les 100 kilos pour
prétendre avoir un siège sur une pirogue. Il n’y avait pas de championnat, il y
avait des courses corporatives. Les grandes courses avaient lieu lors du
tiurai. Chaque club avait sa troupe de danse, représentant chaque district.
Louis
et Teiva sont entrés dans le monde de la pirogue tout à fait par hasard, par
Gilles Maitere. Ils ont prit le train en route. Gilles Maitere détenait une
science, un art. Il avait été initié à la pirogue. Pour Maitere la pirogue
c’était un mode de vie, un art et un culte. Au début Louis et Teiva ne
comprenaient pas trop. Au fil des entrainements la fédération s’est mise en
place. Et petit à petit l’art s’est perdu.
On a
perdu la lecture de la mer, la lecture du courant. Et le coup de rame. Tous ces
éléments sont nécessaires pour gagner. Aujourd’hui dans la plupart des équipes,
les jeunes partent d’un coup de rame rythmé, et terminent avec un coup de rame
rythmé. Ce que Louis et Teiva tiennent de Gilles Maitere, c’est le coup de rame
du clan de Teva. Le coup de rame d’un clan ennemi. Eux, ils forment le clan de
te hoe honu. Le clan de la tortue solitaire. Il faut ramer comme un samouraï.
Toute la force vient des jambes. La force ne dure qu’une fraction de seconde et
après elle se détend. Il faut être très détendu après le coup. La force remonte
des jambes, c’est comme les arts japonais, le maniement du katana : chaque
mouvement a un nom. L’angle d’attaque a un nom. Chaque angle a un nom. Le plus
important dans le coup de rame du clan de Teva, c’est l’angle d’attaque.
Le
coup de rame c’est un geste accompagné de tout le corps. La puissance vient des
jambes. Le piroguier tient une rame ancestrale, la pirogue a servit à immigrer.
A l’époque où les européens étaient encore au sextant, les navigateurs
polynésiens étaient à la lecture de la nature. Ils naviguaient aux étoiles, au
positionnement de la lune et la lecture des vents et des courants. Le clapot de
la mer et la position des nuages.
Actuellement
on regarde la météo sur internet, on a toutes les données sur un clic mais on
ne sait plus lire la nature. On est pauvres en lecture de la nature. Louis
Lalanne est plus connu à Tahiti sous le surnom de Loulou. Loulou a commencé sa
carrière dans l’armée en Afrique au milieu des années soixante-dix. Au Tchad il
a eu l’occasion de palabrer avec les rebelles. « Les rebelles ça va, dit-il, mais
ils sont méchants ». Des expériences extrêmes, des situations qui le
font rire tout seul lorsqu’il se souvient. Pas de joie, mais d’être encore là.
Après le service au Moyen-Orient, il y eut encore l’Afghanistan. D’avoir connu
l’enfer renforce la conscience de Louis de vivre dans un contexte magnifique, à
Tahiti, loin des du sifflement des balles et des enfants-soldats. Et il fait
tout pour aider la jeunesse de son pays à profiter du privilège de cette
naissance.
A la
fin de ses vingt ans de service Louis dût endosser le costume de retraité, un
costume pas évident à porter. En même temps jeune retraité et jeune papa, il a
renoué avec la tradition de la pirogue, et passé le costume d’entraineur. Il
a retrouvé Guy Temaurii, un rameur hors-pair. Et un entraineur aussi. Guy
Temaurii avait son propre coup de rame, un coup de rame qu’il a transmit à ses élèves. Ballotés de club en club, en
1989 Louis et Teiva fondent le club Te Ui Vaa, avec Karim Cowan, Taaraïhau
Franco et Robert Taera. Te Ui Vaa est né de leur désir d’un véritable
laboratoire pour la pirogue. Au programme : travailler le coup de rame et
ne pas manger n’importe quoi. Te Ui Vaa élimine la viande rouge et le cochon,
tous les aliments gras, ce dont le corps n’a pas besoin. Manger plus naturel,
taro, uru, maa Tahiti. Il y a de l’acide vitaminé et de l’oméga 3 dans le maa Tahiti.
Ca facilite la digestion et ça ouvre le
cerveau. Les adeptes du coup de rame du clan de Teva ont mené leur équipe
jusqu’à la Molokai de Hawaï et remporté la Hawaiki nui des îles sous le vent.
Localisé
à Punaauia au lieu dit des trois pontons, Te
ui vaa a servit de laboratoire pour Shell, qui permettait au club de
repérer les bons rameurs à la source. Bénévolement. Le coup de rame du clan de
Teva est une technique qui met l’accent sur le relâchement dans le coup de
rame. Comme pour la boxe, pour donner de la force à un coup de rame, tout est
dans la position du corps et le relâchement. Il ne faut pas ramer comme un
galérien pour donner de la vitesse à un vaa : tout est dans l’art du coup
de rame, l’alliance subtile entre force et souplesse.
En
2012 Te ui vaa a enfin obtenu de la
commune de Punaauia de faire ériger une pierre monumentale au lieu-dit des
trois pontons, à la mémoire de Gui Temaurii. Ce premier mémorial Guy Temaurii,
à été l’occasion d’une des plus belles bringues de l’histoire du club, réunissant
une trentaine de musiciens autour des charismatiques figures d’Angelo et de
Barthélémy.
Maintenant
que ses enfants sont grands, une de ses filles avocate à New-York, une autre
anthropologue spécialisée en criminologie au quai d’Orsay à Paris, son dernier
garçon un des espoirs cadets de la rame polynésienne, Loulou utilise tout ce
qu’il a pu acquérir comme petites astuces. Pour mettre un peu de beurre dans
les épinards, Louis diversifie les systèmes. Il récolte et vend chaque fin de
semaine les produits de son grand faapu de la presqu’île. Les grosses papayes, les
tomates, les concombres et autres fruits de la terre. Lorsque c’est la saison,
il envoie ses enfants faire des paquets de litchis. Lorsqu’il nous ouvre les
portes de son faapu de la presqu’île Loulou met l’accent sur la production
agricole familiale, le jardin. La guerre c’est le désarroi complet, la ruine,
la mort. La peur. La production agricole, c’est tout le contraire. En vendant des litchis au bord de la route,
ses enfants ont gagné 100 000 francs d’argent de poche pour le dernier Noël.
Comme dit Louis : « au moins ce
n’est pas de l’argent volé ». Lorsque la récolte du faapu est
insuffisante pour répondre aux besoins de Louis et des siens, il reste le
négoce des perles, qu’il connaît bien. Depuis peu, le vieux piroguier s’est
lancé dans l’exploitation d’un gisement de phosphate aluminium, un minerai dont
est riche son motu de Anaa aux Tuamotu. Des blocs d’une pierre prisée par
les sculpteurs chinois. Une belle pierre semi-précieuse qui ressemble un peu au
jade, un jade un peu translucide. Il revient d’Australie où il été dans le bush
acheter un stock de toiles aborigènes, toiles que sa fille à ramené à son
ex-femme qui a une galerie à New-York. Les tableaux sont partis comme des
petits pains, alors Loulou continue. La suite du programme c’est un périple en
Micronésie à bord de la grande pirogue Fafapiti de son ami Hervé. En quête
d’objets d’art dans les îles reculées. C’est toujours en mouvement que les
choses arrivent.
Loulou
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean-Philippe Joaquim
Une production Emotion
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