lundi 15 janvier 2018

Loulou, le passeur

In Vivo 3

Loulou le passeur 



Le concept In Vivo, c’est un voyage au sein du vivant, un observatoire de notre société à travers le regard des détenteurs de la culture populaire. Une culture de tradition, de transmission orale, une culture à la fois endémique et universelle, une culture en voie d’extinction. Peinture naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part à la rencontre de ceux qui à la marge de notre société, en assurent pourtant les fondations. Vivant à la frontière de la pauvreté, ils possèdent une richesse inestimable : la liberté ; et nous montrent la voie vers une certaine forme de bonheur.



Louis Lalanne est né à Tahiti Papeete le 5 juillet 1953 de père français et de mère paumotu de Ana’a. Sa mère était connue au Queens là où il y a aujourd’hui les arrêts de truck au marché. C’était la grosse boite tahitienne, le Queens, à l’époque où les légionnaires étaient rois. Ca castagnait de partout. Sa mère était une de ces belles jeunes filles qui arrivaient des Tuamotu attirées par les lumières de la capitale, aux tous débuts du CEP. Le père de Louis était un militaire français qui arrivait d’Indochine, et qui est vite repartit vers d’autres théâtres d’opération avec l’armée coloniale.  Louis a été adopté par des chinois à l’âge de un an. Le menuisier Li Chin Fa. Sa mère adoptive était demi chinoise demi tahitienne. Le hakka est sa première langue et Louis le parle mieux que le français. Cependant il n’a jamais vraiment tissé de liens avec la communauté chinoise.



Louis grandit à Raiatea, et vient poursuivre l’école à Tahiti en 1958, en pleine période de trouble. On racontait aux écoliers que Pouvana a Oopa voulait brûler la ville. Aujourd’hui, Louis se souvient de Pouvana comme de quelqu’un de sincère, qui avait des convictions et qui a fait peur au général de Gaule.


C’est à cette époque que Louis connait la pirogue, à travers un ami, Teiva Gérard, qui deviendra plus tard l’entraineur de l’équipe Shell, et dont Louis aura longtemps été le collaborateur technique. Il n’y avait pas encore de fédération, il y avait des clubs inaccessibles au commun des mortels,  il fallait être vraiment puissant pour être un piroguier à l’époque. A l’époque il fallait dépasser les 100 kilos pour prétendre avoir un siège sur une pirogue. Il n’y avait pas de championnat, il y avait des courses corporatives. Les grandes courses avaient lieu lors du tiurai. Chaque club avait sa troupe de danse, représentant chaque district.



Louis et Teiva sont entrés dans le monde de la pirogue tout à fait par hasard, par Gilles Maitere. Ils ont prit le train en route. Gilles Maitere détenait une science, un art. Il avait été initié à la pirogue. Pour Maitere la pirogue c’était un mode de vie, un art et un culte. Au début Louis et Teiva ne comprenaient pas trop. Au fil des entrainements la fédération s’est mise en place. Et petit à petit l’art s’est perdu.


On a perdu la lecture de la mer, la lecture du courant. Et le coup de rame. Tous ces éléments sont nécessaires pour gagner. Aujourd’hui dans la plupart des équipes, les jeunes partent d’un coup de rame rythmé, et terminent avec un coup de rame rythmé. Ce que Louis et Teiva tiennent de Gilles Maitere, c’est le coup de rame du clan de Teva. Le coup de rame d’un clan ennemi. Eux, ils forment le clan de te hoe honu. Le clan de la tortue solitaire. Il faut ramer comme un samouraï. Toute la force vient des jambes. La force ne dure qu’une fraction de seconde et après elle se détend. Il faut être très détendu après le coup. La force remonte des jambes, c’est comme les arts japonais, le maniement du katana : chaque mouvement a un nom. L’angle d’attaque a un nom. Chaque angle a un nom. Le plus important dans le coup de rame du clan de Teva, c’est l’angle d’attaque.



Le coup de rame c’est un geste accompagné de tout le corps. La puissance vient des jambes. Le piroguier tient une rame ancestrale, la pirogue a servit à immigrer. A l’époque où les européens étaient encore au sextant, les navigateurs polynésiens étaient à la lecture de la nature. Ils naviguaient aux étoiles, au positionnement de la lune et la lecture des vents et des courants. Le clapot de la mer et  la position des nuages.



Actuellement on regarde la météo sur internet, on a toutes les données sur un clic mais on ne sait plus lire la nature. On est pauvres en lecture de la nature. Louis Lalanne est plus connu à Tahiti sous le surnom de Loulou. Loulou a commencé sa carrière dans l’armée en Afrique au milieu des années soixante-dix. Au Tchad il a eu l’occasion de palabrer avec les rebelles. « Les rebelles ça va, dit-il, mais ils sont méchants ». Des expériences extrêmes, des situations qui le font rire tout seul lorsqu’il se souvient. Pas de joie, mais d’être encore là. Après le service au Moyen-Orient, il y eut encore l’Afghanistan. D’avoir connu l’enfer renforce la conscience de Louis de vivre dans un contexte magnifique, à Tahiti, loin des du sifflement des balles et des enfants-soldats. Et il fait tout pour aider la jeunesse de son pays à profiter du privilège de cette naissance.



A la fin de ses vingt ans de service Louis dût endosser le costume de retraité, un costume pas évident à porter. En même temps jeune retraité et jeune papa, il a renoué avec la tradition de la pirogue, et passé le costume d’entraineur. Il a retrouvé Guy Temaurii, un rameur hors-pair. Et un entraineur aussi. Guy Temaurii avait son propre coup de rame, un coup de rame qu’il a transmit  à ses élèves. Ballotés de club en club, en 1989 Louis et Teiva fondent le club Te Ui Vaa, avec Karim Cowan, Taaraïhau Franco et Robert Taera. Te Ui Vaa est né de leur désir d’un véritable laboratoire pour la pirogue. Au programme : travailler le coup de rame et ne pas manger n’importe quoi. Te Ui Vaa élimine la viande rouge et le cochon, tous les aliments gras, ce dont le corps n’a pas besoin. Manger plus naturel, taro, uru, maa Tahiti. Il y a de l’acide vitaminé et de l’oméga 3 dans le maa Tahiti. Ca facilite la digestion  et ça ouvre le cerveau. Les adeptes du coup de rame du clan de Teva ont mené leur équipe jusqu’à la Molokai de Hawaï et remporté la Hawaiki nui des îles sous le vent.



Localisé à Punaauia au lieu dit des trois pontons, Te ui vaa a servit de laboratoire pour Shell, qui permettait au club de repérer les bons rameurs à la source. Bénévolement. Le coup de rame du clan de Teva est une technique qui met l’accent sur le relâchement dans le coup de rame. Comme pour la boxe, pour donner de la force à un coup de rame, tout est dans la position du corps et le relâchement. Il ne faut pas ramer comme un galérien pour donner de la vitesse à un vaa : tout est dans l’art du coup de rame, l’alliance subtile entre force et souplesse.



En 2012 Te ui vaa a enfin obtenu de la commune de Punaauia de faire ériger une pierre monumentale au lieu-dit des trois pontons, à la mémoire de Gui Temaurii. Ce premier mémorial Guy Temaurii, à été l’occasion d’une des plus belles bringues de l’histoire du club, réunissant une trentaine de musiciens autour des charismatiques figures d’Angelo et de Barthélémy.



Maintenant que ses enfants sont grands, une de ses filles avocate à New-York, une autre anthropologue spécialisée en criminologie au quai d’Orsay à Paris, son dernier garçon un des espoirs cadets de la rame polynésienne, Loulou utilise tout ce qu’il a pu acquérir comme petites astuces. Pour mettre un peu de beurre dans les épinards, Louis diversifie les systèmes. Il récolte et vend chaque fin de semaine les produits de son grand faapu de la presqu’île. Les grosses papayes, les tomates, les concombres et autres fruits de la terre. Lorsque c’est la saison, il envoie ses enfants faire des paquets de litchis. Lorsqu’il nous ouvre les portes de son faapu de la presqu’île Loulou met l’accent sur la production agricole familiale, le jardin. La guerre c’est le désarroi complet, la ruine, la mort. La peur. La production agricole, c’est tout le contraire.  En vendant des litchis au bord de la route, ses enfants ont gagné 100 000 francs d’argent de poche pour le dernier Noël. Comme dit Louis : « au moins ce n’est pas de l’argent volé ». Lorsque la récolte du faapu est insuffisante pour répondre aux besoins de Louis et des siens, il reste le négoce des perles, qu’il connaît bien. Depuis peu, le vieux piroguier s’est lancé dans l’exploitation d’un gisement de phosphate aluminium, un minerai dont est riche son motu de Anaa aux Tuamotu. Des blocs d’une pierre prisée par les sculpteurs chinois. Une belle pierre semi-précieuse qui ressemble un peu au jade, un jade un peu translucide. Il revient d’Australie où il été dans le bush acheter un stock de toiles aborigènes, toiles que sa fille à ramené à son ex-femme qui a une galerie à New-York. Les tableaux sont partis comme des petits pains, alors Loulou continue. La suite du programme c’est un périple en Micronésie à bord de la grande pirogue Fafapiti de son ami Hervé. En quête d’objets d’art dans les îles reculées. C’est toujours en mouvement que les choses arrivent.


Loulou
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean-Philippe Joaquim
Une production Emotion
26'

        

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