Miguel Hunt et l'oeuvre de Vaiere Mara
Entretien avec Miriama Bono,
réalisé au Musée de Tahiti et des îles le 23 février 2018
Avant tout, tu as bien connu Miguel Hunt… C’était qui, Miguel
Hunt ?
Miguel c’était une énigme…
C’était un artiste argentin. Alors moi je l’ai rencontré à l’atelier du
Méridien en 2008. Il venait juste d’arriver avec sa compagne Elodie. A l’époque
ils ne savaient pas encore si ils allaient rester en Polynésie, ils étaient plutôt
à la recherche de contacts notamment artistiques. Tout de suite il m’a plût.
Miguel il avait une belle personnalité, c’était une belle personne. Quelqu’un
de très expansif, très généreux, très drôle aussi, il avait beaucoup d’humour…
J’ai rapidement aussi été très touchée par sa démarche, parce que c’était
quelqu’un de très curieux, il avait un côté touche à tout, on aurait dit un
enfant qui avait envie d’expérimenter plein de choses. Ensuite j’ai appris à le
connaître et à travailler avec lui d’un point de vue artistique, puisqu’il a
assez vite intégré l’atelier des artistes du Méridien… C’était quelqu’un qui
avait un grand talent et beaucoup de choses à donner, qui bouillonnait d’envies
et d’idées… Vraiment un être passionnant et très touchant.
Miguel Hunt à l'Art en fusion, centre Vaima
Oeuvres de Miguel Hunt
D’accord. Est-ce qu’il t’a parlé un peu de sa vie avant
Tahiti ? Parce que c’est assez mystérieux…
C’est pour ça que je disais que
c’est une énigme, oui. En fait j’avais des bribes, je savais qu’il a travaillé
dans le bâtiment, d’ailleurs ça se sentait dans sa pratique artistique, parce
qu’il y avait souvent beaucoup de ciment, beaucoup de mortier, beaucoup de fers
à souder… Mais c’est vrai que j’en savais assez peu. Je crois qu’il y avait un
côté mystérieux là-dessus, j’ai découvert au fil des conversations des bribes
sur sa vie privée, qu’il avait eu une galerie auparavant, qu’il avait des
enfants… Mais c’était toujours par bribes et pas toujours très cohérent non
plus, ça fait aussi partie de son personnage. Je pense qu’il y a des choses que
Miguel sur sa vie privée n’avait pas forcément envie de partager. Chacun à sa
vie privée, quelque part ça ne me regardait pas. Et puis ça ne l’empêchait pas
d’être un être extrêmement intéressant. Donc je n’ai jamais vraiment creusé.
Voilà.
Coraux de Vaiere Mara
On peut dire que c’est Miguel qui a redécouvert, on peut dire
redécouvert parce qu’on l’avait complètement oublié, Mara.
Oui, je ne sais pas comment il
l’avait trouvé, en même temps comme c’était quelqu’un d’extrêmement curieux… La
première fois qu’il m’en a parlé c’était dans sa galerie au centre Vaima. Je le
croise, on discute et il m’attrape, comme faisait souvent Miguel, il me dit il
faut absolument que je te montre quelque chose, et il me montre deux ou trois
pièces de Mara. Moi je connaissais, comme beaucoup de polynésiens, l’œuvre de
Mara sans savoir que c’était la sienne. J’avais vu dans les bijouteries les
bustes en corail, à une époque c’est vrai que c’était très à la mode et qu’on
en voyait quand même un certain nombre… J’avais vu aussi une pièce en bois.
Mais je ne connaissais pas l’artiste beaucoup plus que ça. Et il se trouve que
la seconde fois où j’ai croisé Miguel j’étais accompagnée de Manouche Lehartel,
qui elle connaissait l’œuvre de Mara et lui avait même acheté quand elle était
beaucoup plus jeune une pièce. En fait il était au bord de la route avec ses
sculptures et elle s’était arrêtée, elle avait trouvé ça très beau et elle lui
en avait acheté une… Elle s’était intéressée à l’artiste. Et au fur et à mesure
de mes visites qui n’étaient pas très fréquentes, je devais voir Miguel quand
il était dans sa galerie tous les trois ou quatre mois, à chaque fois il avait
de nouvelles pièces de Mara et on sentait que ça devenait une vraie passion. Il
recherchait les œuvres, il recherchait les témoignages de gens qui l’avaient
connu où avaient pu le croiser. Connaissant Miguel, son côté curieux et puis
aussi un peu enfantin, l’approche de Mara devait beaucoup le toucher parce
qu’il y a d’abord le côté autodidacte, Miguel se considérait aussi comme un
artiste autodidacte et était touché par ça, comme moi aussi un petit peu
d’ailleurs… Je pense que ça devait beaucoup lui parler. Et puis ce côté
foisonnant, un petit peu touche à tout, beaucoup de choses qui devaient
résonner par rapport à l’œuvre de Miguel et à sa recherche personnelle. Le côté
un petit peu mystérieux aussi qu’il y a dans l’œuvre de Mara, et le fait qu’il
y ait autant de pièces qui sont à la fois des pièces qui peuvent être liées à
de l’artisanat, je pense notamment aux pièces de corail qui sont des pièces de
commande pour des bijouteries, et d’autres pièces qui sont beaucoup plus
volumineuses, où on sent l’intention de l’artiste, aussi le travail avec le
bois, avec ce que le bois va entraîner, donc une vraie recherche artistique.
Tout ça devait être des choses qui devaient parler à la personnalité de Miguel.
Ce qui explique cette passion, à la fin presque cette obsession qu’il avait
pour l’œuvre de Mara. Qui était très touchante d’ailleurs.
C’est vrai qu’il avait été jusqu’à faire des fac-similés du livre de
Patrick O Reilly, parce qu’il avait découvert Mara par le livre…
Oui c’est ce qu’il m’avait dit.
Il avait fait des fac-similés sur papier glacé qu’il allait distribuer
à l’assemblée, il prenait des rendez-vous avec tout le monde et il trouvait
beaucoup de portes fermées… En fait Mara était très sous-estimé…
Ça je ne sais pas. A l’époque je
travaillais également au ministère de la culture, donc il m’avait demandé de
rencontrer le ministre de la culture qui l’avait reçu et qui trouvait en effet
que le projet était intéressant, c’était d’ailleurs lui qui avait ensuite
demandé à la directrice du Musée d’envisager une ouverture, qu’il puisse y
avoir une exposition des œuvres de Mara. Comme je le disais tout à l’heure il
se trouve que cette demande avait une oreille attentive en la personne de
Manouche Lehartel qui elle aussi a été directrice du Musée, puisqu’elle
connaissait l’œuvre de Mara. De la même façon le ministre de la culture son
père avait un Mara également. Je sais que tous les deux en tout cas
connaissaient l’œuvre et n’étaient pas du tout fermés à la discussion. Par
contre c’est vrai que ce qui semblait compliqué et ce qui semble toujours
compliqué c’est que justement en fait il n’y a pas vraiment d’inventaire ou de
connaissance de l’œuvre de Mara. Donc on ne sait pas combien d’œuvres ça
pourrait représenter. Et puis il y a aussi quelque part la distinction qui doit
être faite nécessairement entre ce qui est une production artistique comme je
le disais tout à l’heure, et puis ce qui est plus une production de commande ou
artisanale, qui n’est pas péjorative en soit, mais ce n’est pas le même
travail. Et puis aussi je me rappelle que lors de discussions qu’il y avait eu
entre le ministre et Miguel, il était aussi question de faire la distinction
entre les œuvres produites par Mara père et celles qui sont produites par Mara
fils. Là aussi on n’est pas forcément dans la même production ni dans la même
démarche. La discussion se posait plus là-dessus mais pas du tout sur
l’opportunité d’une exposition. Après je ne sais pas, Miguel ne m’a pas parlé
des autres rencontres qu’il avait eu avec des gens de l’assemblé ou autres…
Mais je sais qu’au niveau du ministère de la culture il n’avait pas du tout été
question de fermer les portes, bien au contraire. Le départ de Miguel a un
petit peu mit le projet d’exposition en standby,
mais ce n’est qu’une pause en fait. Le Musée de Tahiti n’est pas du tout fermé
à montrer l’œuvre de Mara, mais c’est sûr qu’il y a des recherches
complémentaires qui doivent être faites dessus, ne serait-ce que pour peut-être
évaluer des périodes. Enfin voilà, mais c’est pour le coup un artiste à
découvrir, moi en tout cas, sur le plan personnel, ne serait-ce que par amitié
et par respect pour l’engagement de Miguel Hunt, c’est vrai que c’est quelque
chose qui me tient à cœur également. Bon il se trouve qu’entre-temps je suis
devenue directrice du Musée des îles, donc tout cela est plutôt favorable pour
une exposition. Mais ça va au-delà de ça. L’œuvre de Mara elle ne touchait pas
que Miguel, d’autres personnes avaient acquis des pièces, et d’ailleurs quand
on voit aujourd’hui après le travail d’inventaire qui a été commencé, toutes
les œuvres qui arrivent et qui sont montrées, on se rend compte qu’en fait
l’œuvre de Mara elle est dans le quotidien de beaucoup de polynésiens, des gens
qui à priori n’achètent peut-être pas d’œuvres d’art mais qui avaient acheté
des œuvres de Mara.
Bois de Vaiere Mara
Beaucoup de collectionneurs aussi… Mais pour revenir à Miguel et l’exposition
il avait bien obtenu une date, l’ancienne directrice du Musée m’avait envoyé le
mail en copie mais j’étais là quand il avait reçu le mail, et il était furieux
que la date soit en juillet. C’est ça qui l’avait mis en rogne. Pour lui il n’y
a personne à Tahiti en juillet…
C’est une erreur de mon point de
vue, mais bon ça c’est quelque chose d’assez récurent, le Musée a aussi ses
contraintes, nous on n’est pas une galerie, on a nos contraintes propres et
d’autres expositions qui sont programmées, il se trouve que la salle
d’exposition temporaire c’est une des rares salles qui peut réunir les
conditions d’expositions adéquates, il y a énormément de gens qui demandent à
pouvoir faire des expositions, en général elles sont refusées… On refuse par
exemple les expositions personnelles d’artistes. On n’accepte que les
expositions collectives d’art contemporain et encore il n’y en a que deux qui
s’y tiennent par an, donc voilà… C’est pas pour dire que c’était une faveur
mais pouvoir exposer l’intégralité de l’œuvre de Mara, il n’y avait que pour
Bobby que ça avait été fait auparavant. Donc voilà, il n’était pas du tout
question de dénigrer l’œuvre et il faut savoir qu’en général le programme
d’exposition du Musée est bouclé deux ans à l’avance parce qu’il y a des
contraintes d’expositions propres au Musée, c’est-à-dire qu’on présente les
collections du Musée mais aussi par exemple on vient d’accueillir une
exposition qui était prêtée par le Musée du quai Branly. Ce sont des
expositions qui se préparent deux ans à l’avance, donc on n’a pas une grande
flexibilité, c’est certainement la différence qu’il y a entre cette salle et la
salle Muri Avai par exemple, ou une galerie privée. Donc je pense que la date
qui lui avait été proposée c’était aussi en fonction des disponibilités. Ce
n’est pas toujours évident de trouver des dates adéquates. Ceci étant, juillet,
quand on regarde les chiffres de fréquentation c’est pas du tout une mauvaise
période en fait… Parce qu’on a beaucoup de visiteurs extérieurs, des touristes
je veux dire, et aussi tous les gens qui viennent avec leur famille, ceux qui
accueillent de la famille de métropole par exemple, et qui donc leur font
visiter le Musée parce que normalement c’est censé être le lieu de la culture
polynésienne. Donc en fait juillet c’est un des mois les plus actifs du Musée
de Tahiti et des îles, hein… Voilà.
Quelle importance tu lui donnerais dans la production artistique
polynésienne, à Mara ?
Je pense que c’est difficile à
évaluer, ça serait intéressant de poser la question à des sculpteurs déjà. Moi
personnellement ce qui me touche beaucoup dans l’œuvre de Mara c’est plus son
œuvre sur bois que sur corail, j’avoue que je suis extrêmement sensible à son
utilisation un petit peu brute de la nature. Après savoir quelle est son
influence directe ou indirecte sur la production artistique polynésienne, c’est
difficile à dire et c’est justement l’intérêt de faire une exposition majeure
de ses œuvres. Parce que pouvoir présenter l’intégralité de l’œuvre d’un
artiste c’est aussi pouvoir poser un regard sur l’intégralité de sa production,
et voir aussi après quelles sont les influences et les découlements possibles
ou pas. Dans l’état actuel des choses c’est vrai que ça reste difficile à
évaluer et que ça serait intéressant de poser la question à des sculpteurs.
Déjà pour voir s’ils connaissent l’œuvre de Mara et savoir si derrière c’est
une influence pour eux ou pas.
Tu parlais d’une rétrospective de la totalité de l’œuvre, là on est
quand même en présence de quelqu’un qui a produit pendant cinquante ans. Qui a
commencé à travailler comme sculpteur professionnellement à dix-huit ans et qui
d’après ses enfants pouvait faire cinquante pièces par semaine quand il était
inspiré… Des milliers d’œuvres, donc c’est un travail de recherches qui
pourrait durer des décennies…
C’est ça. Je pense que c’est
d’ailleurs la difficulté qui avait été évoquée avec Miguel. Dans l’état actuel
des choses, en tout cas aujourd’hui, même si un travail a été entreprit pour
faire un recensement, demander aux différents collectionneurs leurs œuvres, ça
sera sur du très long terme en fait, le temps que chacun puisse déjà se joindre
à cette démarche… Ça n’empêche pas de faire une exposition qui peut être une
première et d’en faire d’autres ensuite, d’autant plus que si en effet il y a
mille œuvres ça va être difficile quand même d’en exposer mille, il faut aussi
derrière… De toute façon c’est comme toute les expositions artistiques à un
moment il faut quand même qu’il y ait un tri qui soit fait, il y a toujours des
pièces qui sont plus majeures que d’autres, qui sont plus importantes, il y en
a qui peuvent être des déclinaisons donc ça c’est le travail qui reste à
entreprendre. Au-delà du recensement de l’œuvre la scénographie d’une
exposition c’est encore autre chose qui n’est pas un petit travail puisqu’il
s’agit de mettre en valeur le travail de l’artiste, de pouvoir en plus sans
avoir la participation de l’artiste, peut-être classifier les choses de façon
cohérente de manière à montrer où une évolution où différentes thématiques.
Mara sculptait à la fois des sujets d’ordre religieux qui devaient probablement
être j’imagine des œuvres de commande et
des choses beaucoup plus libres, il y en a qui sont plus travaillées que
d’autres dans le sens où il y a plus de personnages où moins de personnages…
Après ça c’est le travail du commissaire d’exposition de mettre en lumière tout
ça. Mais c’est sûr qu’exposer mille pièces d’un coup ça risque quand même
d’être compliqué et pas forcément pertinent non plus. Voilà, je pense que ça
sera difficile d’avoir toute l’œuvre de Mara d’un seul tenant, et de pouvoir la
réunir en entier en une seule fois.
Apparemment il y aurait de ses œuvres dans les collections publiques.
Est-ce qu’il y a une liste quelque part ?
Alors le Musée de Tahiti a deux
ou trois Mara dans ses collections, il me semble deux en bois et un en corail.
Nous on connaît l’inventaire de notre fonds mais après quand tu parles
d’institutions publiques je ne vois pas quelles autres…
Par exemple j’en ai retrouvé un dans un bâtiment qui appartient à je
sais plus quel ministère, le tourisme je crois, il y a une grande plaque au
mur, j’ai demandé au responsable du service qui m’a dit que ça appartenait au
ministère et qu’il signerait volontiers une convention pour le prêter…
D’accord… Bon beaucoup
d’artistes, c’est le cas de Bobby notamment faisaient aussi des commandes pour
les établissements publics où pour les ministères… Mais moi en dehors des trois
qui sont dans les collections du Musée je n’ai pas connaissance d’autres œuvres
puisque ensuite c’est chaque ministère ou chaque service qui achète directement
ses œuvres. Donc tout comme vous venez de lancer un appel auprès des
collectionneurs privés il faudrait lancer un appel auprès des collectivités
publiques mais j’imagine qu’il ne doit y en avoir tant que ça non plus parce
que l’achat d’œuvres reste quand même assez marginal dans les établissements et
les services publics, à part évidement au Musée ou au service de la culture et
dans les ministères du tourisme, de la culture et de l’environnement. A
l’environnement et à la culture je sais qu’à part chez nous il n’y a pas de
pièces de Mara qui ont été recensées, à ma connaissance il n’y en a pas non
plus dans l’inventaire de la maison de la culture. Bon c’est une information
qui reste à vérifier mais comme ça, ayant déjà vu l’inventaire il ne m’a pas
semblé y voir de pièce de Mara mais c’est possible, c’est une chose qu’il faut
vérifier avec la maison de la culture…
à suivre...
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