In Vivo 2
Miko, le voyant
Le concept In Vivo, c’est un voyage au
sein du vivant, un observatoire de notre société à travers le regard des
détenteurs de la culture populaire. Une culture de tradition, de transmission
orale, une culture à la fois endémique et universelle, une culture en voie
d’extinction. Peinture naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part
à la rencontre de ceux qui à la marge de notre société, en assurent pourtant
les fondations. Vivant à la frontière de la pauvreté, ils possèdent une
richesse inestimable : la liberté ; et nous montrent la voie vers une
certaine forme de bonheur.
Le soleil brille
pour nous dire grand esprit tu es présent.
L’oiseau, l’ange
est descendu.
Le chef est
derrière moi.
Je vous invite, mes
ancêtres.
Ainsi
s’adressait au ciel le sculpteur professionnel Michel Toofa Krener, 54 ans,
plus connu sous le surnom de chief Miko, une branche de auti dans chaque main,
sur la plage de Piahaena à Moorea. C’était l’anniversaire de Pitore. Et son
intronisation comme maître sculpteur en bois. Pitore fait aussi des cailloux.
Taille des tikis. Chief Miko était le maître de cérémonie. Ce jour-là on a
commencé à parler de navigation aux étoiles. Sur la plage il y avait Julien,
Paulo, chief Miko, Porutu, Pitore, le jeune Moana, Viri Durrietz et une
trentaine de convives. Jusqu’au soir tout le monde a chanté. Chef Miko connait
des chansons en hawaïen, des chansons en japonais, des chansons en tahitien,
d’anciennes chansons françaises et des chansons américaines. Son répertoire est
pour le moins varié… Après le orero de chief Miko, ce fut au tour du barbu de
s’adresser au ciel. Le barbu c’est Viri. Le frère de lait de chief Miko. Adopté
par ses grands parents. Ensuite, chief Miko a baptisé Pitore dans le lagon. C’était
pour le purifier. Pitore était malade partout.
On
retrouve Chief Miko chez lui, à Arue. Dans un fare blanc proche du tombeau de
la reine Pomare, où il vit avec sa femme et leurs deux jeunes enfants. Sur le
seuil flottent deux rames croisées, le drapeau du Polynesian Kingdom of Atooi de Aleka Aipolalani. Michel Toofa
Pouira Krener est né le 3 avril 1959 à Papeete, d’un père charpentier qui
construisait des fare polynésiens pour les riches américains de Hawaï. Sa mère
était infirmière. Michel est adopté par son grand-père le jour de sa naissance.
Son grand-père Rai a Noumea Pouira construisait des pirogues et des maisons. C’est
surtout sa grand-mère qui va l’élever, et qui l’allaite. Elle s’appelait
Mareiura Mahaei a Tumahei, ça veut dire quand
la lumière a éclaté au commencement du monde. Maramarama c’est bien après.
C’est pour elle que plus tard Michel se fera faire son premier tatouage
traditionnel.
Michel
grandit à Arue jusqu’à l’âge de quatorze ans, sur la terre Orohena, la terre du
clan des Teihoarii de Bora Bora, les ancêtres de la maman de son grand-père
paternel. Bon élève à l’école, le jeune Michel est le seul de sa classe à
réussir les examens de fin d’année et à obtenir le certificat d’études. Il
était pourtant le plus jeune de sa classe. Michel était bagarreur, il se
mesurait à tous ceux qui voulaient se lever contre lui, pour grossir leur
honneur de guerrier… A cette époque il y avait beaucoup de vélo solex, et
Michel commençait à devenir un vrai boxeur de rue à cause des histoires de vélo
solex. En effet, le bon élève volait beaucoup de vélo solex, c’était facile à
voler…
Michel
travaillait comme un serviteur pour son grand-père. Son grand-père allait
pêcher jusqu’à Maïao en pirogue, il revenait parfois avec six grosses tortues.
Le jeune Michel adorait manger les œufs de tortue crus. Pour cette raison, on
le surnommait Paumotu à Arue.
A
douze ans en 1972 Michel intègre Fetia, le groupe de danse de Arue qui
deviendra Ahutoru Nui en 1989. Il rentre comme danseur dans la troupe. C’est son tonton le sculpteur Vaiere Mara qui a initié le jeune homme à la sculpture sur bois. Ensuite le
raatira Teipo Temaiana lui demande de sculpter des tambours et des toere pour la troupe. Il y
avait aussi une tatie qui habitait avec un sculpteur marquisien que Michel
aidait, Joseph Kimitete.
Entretien avec Chief Miko
Toi tu as grandis ici à Arue ?
J’ai grandis avec mon grand-père
qui m’a adopté depuis mon enfance à Arue. Les trois baies de Arue : Maevi,
aujourd’hui ça s’appelle Lafayette… Mon grand-père Pouira et ses frères et
sœurs, mes tontons et taties. Ils étaient vraiment dans la tradition, la
coutume : la pêche, l’agriculture et la sculpture. La sculpture c’était
très important. J’ai adopté la sculpture de mon tonton Mara qui était notre
voisin. On habitait à côté du magasin chinois, le magasin bleu.
Vous habitiez côté mer ?
En 1964 on a quitté la plage
Maevi. On es venus à Tearapae. Dans le quartier où habitait notre tonton Mara.
Là où est Michel aujourd’hui ?
Non. Pk 5 en face de Tearapae.
Mara faisait de grandes plaques. Beaucoup de commandes. Il était vraiment le
seul patrimoine. Il sculptait dans la tradition. Des sculptures brutes. Pas
comme les marquisiens. C’était le premier des témoins de Jéhovah à cette
époque. Il y avait beaucoup de bois sur la plage. Alors on collectait des bois.
Quand il y avait la grande pluie on avait des bois partout chez nous. Il allait
chercher des bois en bord de mer et des fois il nous payait aussi pour aller
porter des bois. Le maître de Mara aussi habitait avec nous, Kimitete. Il avait
loué une petite maison avec mon grand-père, il habitait avec sa femme tatie
Manea.
Et Mara comment il les vendait ses sculptures ?
Il était vraiment populaire. Et
comme il habitait sur la route près du magasin bleu Ha Koui... A côté du magasin on
avait une terre vide et on stockait du bois là pour le tonton. Bien sur des
tranches de maru maru que les amis coupaient pour lui. Des tranches de cocotier
aussi. Le cocotier il faut un cocotier centenaire bien rouge pour que ça dure. Jusqu’à
l’âge de quatorze ans j’étais un serviteur pour mes tontons. J’allais chercher
du bois pour tonton Mara, j’allais chercher des cailloux pour les piroguiers
pour faire la pêche… Dans le bois de maru maru et de miro il faisait de grandes
pièces. C’était pas une image, c’était une image avec des images dedans…
C’était mon maître. Il était vraiment sympa. Alors quand j’ai quitté mon île
natale, à quinze ans à Hawaï j’ai commencé à sculpter. La première chose que
j’ai fait c’est un ukulele à Hawaï. Deuxième chose j’ai sculpté une moitié de
pirogue. C’est le patrimoine la sculpture. Mara il sculptait beaucoup les
anciennes femmes polynésiennes avec de longs cheveux et un hibiscus, c’était
vraiment magnifique. Kimitete il avait une machine pour couper des petits tiki,
ça marchait… Aujourd’hui j’ai des machines pour couper le bois dans mon shop à
Hawaï. Beaucoup de bois. Parce que mes enfants sont des arboristes certifiés,
c’est-à-dire diplômés. Mes deux garçons Vafatu et Maramarama. Mes enfants ont
repris la sculpture aussi. Ils font surtout des petites choses parce que c’est
très demandé, comme des hameçons… Des tambours aussi… Un jour on ira chez mon
frère regarder toutes les sculptures de Mara.
Ton frère il a des sculptures ?
C’est ma maman et mon beau-père
qui en avaient. Je vais aller demander un rendez-vous avec mon frère Francis.
Il a des pièces incroyables des années soixante-dix. Mara c’est brut, moi je
suis brut aussi. Maintenant c’est les petites bêtes qui commencent à tuer les
arbres. A Hawaï dans les cocotiers il y a cette bestiole, le rhinocéros
japonais. C’est lui qui mange les cocos vertes. C’est facile à éradiquer, tu
fais une boite pour les attirer dedans. Mes enfants font beaucoup de sculptures
avec le bois de cocotier. Ils sont sur Oahu, dans la grande ville de Honolulu.
C’est comme Papeete pour Tahiti. Mes enfants sont très demandés pour entretenir
les arbres. Jamais ils ne jettent les bois. Ils travaillent le bois. Sinon ils
échangent. Mais le bois qui est bien taillé c’est à vendre, c’est devenu
populaire, c’est pour faire des bars surtout. Des planches pour le surf aussi. Il
faut des plaques de deux ou trois pouces d’épaisseur.
Donc Mara qui était témoin de Jéhovah t’as transmis la sculpture, et tu
es revenus aux tikis… C’est curieux…
Parce que mon autre tonton c’est
Te Arapo. Sem Manutahi vient de lui. Henri Hiro vient de lui. Tous ces gens-là. Il est
mort en 1968 je crois. Il habitait dans le quartier à Tefaaroa avec les tontons
Teauna. C’était le plus grand orateur avec le grand-père de ma femme, papa Rai
qui a fait la marche sur le feu. C’est pas Raymond Graffe. C’est papa Rai qui a
reprit les coutumes mamaia, mais il a abandonné il est devenu protestant après.
Tutu c’était des élèves.
En
1970 son grand-père vend la terre de Arue au territoire. En 1974 Michel quitte
la maison et habite sur la plage. Il est costaud et fait l’amour avec de
grandes femmes. La politique était vraiment son dernier souci, et la vraie
raison du départ du jeune homme était le rapprochement de son grand-père avec les
politiciens au pouvoir. Le jeune danseur ne voulait rien avoir à faire avec
l’argent et la corruption…
A
cette époque, Michel entend que son père construit des bateaux à Honolulu, et
il est tenté d’aller le retrouver. Après une année intermédiaire pour apprendre
la langue, il rentre à la High School de Oahu. Son père construisait des
bateaux de pêche pour le mahi mahi. Il n’allait jamais au magasin, c’était un
vrai indigène. Il grimpait aux arbres casser le cou aux coqs et aux poules. Il
avait comme prénom de baptême Pita, et maintenant il va chercher les canards
dans la rivière avec sa carabine, aux alentours d’Oahu. Au terme de deux
années, Michel obtient son High School diplôme, l’équivalent du baccalauréat. Il
est adopté par la famille Kamalamalama, une famille de musiciens de Waikiki. Le
père Billy Richmond est en train de faire le moule de la pirogue Hokulea. Il
est un des membres fondateurs de la polynesian
society de Hawaï. Tous ces gens sont en quête de leur identité. Ils
cherchent d’où ils viennent. Michel n’avait pas 21 ans, l’âge pour embarquer
sur la pirogue en 1976, il n’avait que seize ans… A dix-sept ans Kumu Hula
Bella Richmond lui donne un premier garçon, Mafatu. En 1978 Michel Toofa Krener
est le premier polynésien enregistré chef d’entreprise dans l’administration à
Hawaï. Il travaille dans l’arboriculture, comme bûcheron.
En
1978 Hokulea a été renversée lors de son deuxième voyage, il y a un mort. C’est
le capitaine Nainoa qui avait conduit la pirogue jusqu’à l’île du roi
Heipolalani Kameamea. La pirogue encourage Michel de vivre avec la nature,
comme les anciens. En 1982 Michel reprend la musique, il n’avait jamais arrêté
de construire des tambours et des pirogues traditionnelles pour naviguer à la
voile et aux étoiles, comme les anciens. Parce qu’il faut être un voyant, et
un croyant. Son grand-père décède en
1984. Michel va toujours accueillir les pirogues, discuter avec les
navigateurs. Dans les années 1980 Michel navigue beaucoup sur la grande pirogue
Hokulea. Le micronésien Mau Pialug est son maître.
Le
jeune entrepreneur commence à gagner beaucoup d’argent, il a beaucoup de
travailleurs et il ne paye jamais aucune taxe. Il devient célèbre sur l’île en
dépensant tout l’argent qu’il gagne, et partage désormais son temps entre Hawaï,
Tahiti et la Californie. Encore un triangle… En 1999 il prend le nom de Chief
Miko, et en 2000 il revient à Tahiti pour de bon. Il s’installe sur la terre de
ses ancêtres paternels, la terre Teriri à Arue Erima, du nom d’une reine de
Bora Bora. Dans une maison en bambous avec un grand faapu, où il cultive
légumes et plantes médicinales. Le 24 juin 2013 le tribunal de Papeete ordonne
l’expulsion de Chief Miko et de sa famille. Il s’installe dans un fare
contemporain en dur, et se lance un
défi : réaliser une centaine de grands tiki tahitiens pour le marché
chinois. Chief Miko sculpte aussi des to’ere. Il s’adresse à l’ensemble de la
planète. Le monde des ancêtres est écroulé, la bascule a été faite et Chief
Miko s’oppose à l’essentiel des affaires contemporaines. Il résiste en
fabriquant des tiki tahitiens qui essayent de s’opposer à l’espèce de nouvel
ordre mondial, et fait la une des journaux à Tahiti…
Le
sculpteur met une semaine pour finir un grand tiki. Il travaille principalement
à la tronçonneuse et aux outils modernes, mais il lui arrive aussi de recourir
aux herminettes, beaucoup moins rapides. Sur son corps, Miko s’est fait tatouer
de nombreux motifs symbolisant sa passion pour la navigation ancestrale, chacun
de ses cinq enfants, et aussi des symboles plus ésotériques, comme cet oiseau.
L’oiseau, symbole du voyage, est le lien entre Chief Miko, le sculpteur Pitore
et le tatoueur Porutu, arrivé à Oahu à bord de la grande pirogue double Te
Aurere, accueillit par Michel qui lui demande de le tatouer… Miko te Manu. L’oiseau… Une union supranationale
refusant absolument une Polynésie planifiée s’organise spontanément, une zone
de libre échange, de libre circulation des personnes échappant au mariage avec
l’occident, les Etats-Unis pour les Hawaïens, la France pour Tahiti, l’Angleterre
pour la Nouvelle-Zélande, le Chili pour Rapa Nui. Il faut que les indigènes du
pacifique travaillent ensemble à la création d’une zone pacifique unie, sans
lignes de démarcation arbitraires… Et ça nous fait revoir 150 ans d’histoires,
et comment on arrive à des régimes aussi éparpillés… Il y a une diaspora du
pacifique, et pour beaucoup d’indigènes le centre géographique du triangle du
pacifique est la Jérusalem des indigènes. Le centre géographique, c’est
indiscutablement Raiatea, et le marae de Taputapuatea, centre des
rassemblements…
Chief
Miko se définit comme arboriste. Il
taille les arbres, il ne les coupe pas. Pour les troncs d’arbres, chef Miko
compte aujourd’hui sur ses cousins bucherons qui effectuent des élagages. Il
récupère les troncs coupés par nécessité. Jamais il ne sacrifiera un arbre pour
en faire un tiki. Lorsque ses cousins coupent des arbres, il va chercher les
troncs lui-même. Souvent à Moorea. Le choix du tronc est déterminant dans la
conception d’un tiki. On accompagne Chef Miko choisir un bon bois. C’est
l’occasion de recueillir le témoignage de son homologue de Dusseldorf, Andreas
Dettloff. Dettloff est un artiste plasticien allemand installé à Tahiti depuis
une vingtaine d’année, qui travaille sur la culture populaire et aussi
l’aculturation. La rencontre avec Chief Miko se passe tellement bien que
quelques jours plus tard on va rendre visite à Dettloff chez lui.
Miko
met une semaine pour finir un grand tiki. Il utilise une petite tronçonneuse
qui ne fait pas trop de bruit. Pour les petits, il faut deux jours pour
terminer entièrement le travail. Le plus délicat à gérer pour le sculpteur,
c’est le ponçage, et la poussière. Avec le vent, la poussière peut faire des dégâts
dans le quartier… C’est la raison des grandes bâches bleues tendues autour de
son établi.
Pour
les anciens, un tiki représentait une autorité importante. Chef Miko passe
quatre couches de cire pour bien faire briller le bois de ses tikis. Patiner.
Surtout pas de vernis, de la cire. Les tikis tahitiens de chief Miko doivent
passer au four avant de partir en Chine, où ils représentent le noni tahitien.
C’est le frère de Chief Miko qui commercialise en Chine une boisson diététique
à base de noni tahitien. Chief Miko livre ses grands tikis à la société Cowan
chargée de les affréter en chine. Chief Miko l’homme de spectacles à accepté de
prêter son image aux spots
publicitaires, qui font campagne pour le noni tahitien sur les écrans chinois. Chief
Miko c’est encore le raatira des orero de la troupe Heikura Nui. Miko occupe ce poste depuis 2007. Avec Heikura Nui, ils ont remporté deux
grands prix au Heiva i Tahiti.
Miko
a baptisé Kamui son fils de trois ans selon le rite des anciens à Hawaï. Trois
de ses enfants vivent à Atooi. Aujourd’hui Miko revient de Hawaï intronisé
Marshall du Polynesian Kingdom of Atooi par
le roi Aleka. Le Atooi, c’est un
royaume polynésien qui vient de réintroduire officiellement le kala. La monnaie
polynésienne traditionnelle. Il y a des kala de cuivre, des kala d’argent et
des kala d’or. Chaque pièce pèse 28 grammes. La pièce de cuivre vaut 2 kalas,
celle d’argent 50 kalas, celle d’or 500 kalas. Un kala vaut mille dollars US. Une
monnaie solide, pas de l’encre et du papier. L’objectif est de voir le prix des
produits donné en mesure et plus en billets de banque. Atooi signifie la lumière de dieu. Le Atooi fédère jusqu’à 27 tribus de Nouvelle-Zélande. Sur les kalas
se trouve le portrait du roi Aleka Aipoalani, dont le grand-père figure sur les
billets de banque néo zélandais.
Miko le chef voyant
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean-Philippe Joaquim
26'
Une production Emotion
Sélectionné en compétition FIFIG 2016
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