In Vivo 4
Patu
Le concept In Vivo, c’est un voyage au sein du vivant, un observatoire
de notre société à travers le regard des détenteurs de la culture populaire.
Une culture de tradition, de transmission orale, une culture à la fois
endémique et universelle, une culture en voie d’extinction. Peinture
naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part à la rencontre de ceux
qui à la marge de notre société, en assurent pourtant les fondations. Vivant à
la frontière de la pauvreté, ils possèdent une richesse inestimable : la
liberté ; et nous montrent la voie vers une certaine forme de bonheur.
Le projet remontait à plusieurs
années. Un film consacré au travail de Moana Heitaa, un tatoueur marquisien qui
a grandi à Mamao. Moana était partit à Hawaï pour la danse et il avait
découvert le tatouage traditionnel là-bas, avec Heisea du studio Soul Pacific Signature.
Au début des
années 2000 la pratique du traditionnel était encore marginale à Tahiti. Moana
s’est lancé dans une vraie quête qui a trouvé son aboutissement aux Tonga, là
où il y a une tradition ininterrompue du tatouage aux peignes. Là il s’est fait
faire un pea. On avait fait une vidéo en 2012, et puis il était partit vivre à
Tahaa avec femme et enfants.
Sa base pour aller travailler un peu partout, en
France, aux Etats-Unis…Un épisode In Vivo était prévu avec Moana, on avait
parlé à Tahiti, mais le marquisien a disparu au moment du tournage.
Jean-Philippe
Joaquim m’a alors parlé de Patu, un tatoueur qui a grandi dans le même quartier
que Moana, à Mamao. Patu avait une forte personnalité et faisait beaucoup de
choses.
C’est Jean-Philippe qui connaissait Patu, et ce film est plus son film
que le mien. Il a mené les entretiens, organisé les jours de tournage et s’est
occupé du montage. Tout est allé très vite.
Patu a été faamu tout petit.
L’adoption est une tradition vivace en Polynésie. On a rencontré Patu dans son
quartier de Mamao. Des baraques de tôle ondulée agglutinées au grand mur de
béton de l’ancien hôpital. Patu a grandi là avec sa famille et tous ceux du
ghetto.
Aujourd’hui il vit à Faa’a avec sa femme, mais revient encore tous les
jours. Retrouver tonton Joubert, son deuxième papa. Et le papa de tout le
quartier… Entraîneur du Mamao Boxing Club,
tonton Joubert est né à Papeete le 13 août 1966. Jusqu’à 14 heures il travaille
en CAE comme jardinier à la mairie de Papeete. Ensuite il se repose un peu. A
16 heures trente il va attendre ses élèves. Ca fait des années qu’il est là à
les attendre.
Patu pratique la boxe anglaise
depuis l’âge de 14 ans. Quant il était tout petit dans son quartier et à
l’école il était victime de racket. Tous
les jours j’avais droit à un petit coup de pied, un petit coup de poing dans la
tronche… Pour me prendre mon casse-croûte ou mon argent. Un jour il est
venu voir tonton Joubert, il voulait s’entraîner avec lui. Il n’avait que seize
ans et il était à soixante-quinze kilos. L’entraîneur lui a dit d’aller voir
d’abord son tonton, son papa faamu. Le tonton est venu le voir et lui a dit de
prendre son neveu. Depuis le jour où il s’est bien intégré au club de tonton
Joubert, les choses on changé… Il faut
que ça soit dur l’entraînement. Entraînement facile, combat difficile.
Entraînement dur, combat facile. Tonton Joubert a entrainé Patu jusqu’à
maintenant. Au fur et à mesure les liens
avec tonton Joubert se sont vraiment resserrés. Si j’avais des problèmes conjugaux
ou familiaux, j’allais le voir et il était toujours là à m’aider
psychologiquement et à trouver les solutions. A me calmer surtout. Enorme
et tout sourire, cheveux longs jusqu’aux épaules, casquette américaine vissée à
l’envers sur sa grosse tête, tonton Joubert se souvient d’avoir grandit dans la
rue. Et presque tous ses élèves aussi ont grandit dans la rue… Je vais bientôt avoir cinquante ans et je
vois des jeunes toujours dans la rue. C’est nous comme on était avant. C’est
comme si ces jeunes-là ils ont pris notre place quand on avait quatorze ans.
J’aurais pu mal tourner. Dans le quartier c’est pas aussi rose tous les
jours. C’est dur d’avoir un travail. Ce qu’on fait après c’est la délinquance
et tout ce qui va avec. Ça devient des vices et des jeux d’argent. C’est très
difficile pour survivre. Pour survivre, pas pour vivre. Tous les moyens sont
bons. C’est dur à te maitriser. Et il faut de bonnes personnes pour pouvoir le
faire. Tonton Joubert c’était la bonne personne.
Après l'entraînement et
les sparing il y a une bonne ambiance chez le tonton. Une bringue avec de la famille
de Rurutu, de passage sur Tahiti. A la guitare, un jeune homme, aveugle, tire
des sons de virtuose. Quelques femmes se mettent à chanter, accroupies en haut d’un
escalier de bois…
Toujours à Mamao mais au
troisième étage d’un immeuble moderne avec un code d’accès. Nicky descend nous
ouvrir, un des membres de l’équipe de Patu. Nicky s’occupe de la partie
médiatique, site web, photographie et tout ce qui va avec. Il y a aussi
Peniamina qui travaille avec lui, il est en train de le former. Tatouage,
dessin, hygiène. Peniamina c’est le fils aîné de tonton Joubert. Patu est en
train de dessiner sur Peniamina depuis le matin. Une très grande pièce. La
moitié de son corps. Tout tatoué. C’est son premier tatouage, mais il a
toujours été attiré par ça. Ça fait deux ans qu’il veut le faire mais il est
partit en France poursuivre ses études. Là il est revenu, s’est bien installé,
et il a le temps de la faire. De bien travailler dessus. Il faut du courage
pour pouvoir supporter toute cette douleur. Patu veut réaliser ce projet en
moins d’un mois. Pas trop longtemps non plus, parce qu’après le mental n’y est
plus… Ça va piquer à fond… Patu prend ses repères, il va remplir au fur et à
mesure. D’abord les traits, ensuite le remplissage. Le principe pour remplir c’est vraiment petit à petit. Comme ça les
traits vont vraiment être accentués. Ça va bien être noir.
C’est un peu symbolique par
rapport à la boxe. Peniamina c’est la fierté de son papa. Il est heureux que
son fils suive des cours de tatouage et se fasse tatouer par Patu. Quand mon fils est avec Patu je me sens
bien. Parce que ce que j’ai vécus quand j’étais jeune, j’aimerais pas que mon
fils aille par là. Patu a choisi Peniamina parce qu’il faut quelqu’un de
courageux. Il connait son mental. C’est quelqu’un qui donne de lui-même et qui
veut apprendre. Il enregistre tout,
ensuite il va le reproduire. Pour que son travail puisse être pointu. La base
c’est le ménage. Il faut que quand les clients entrent ils voient un endroit
propre. Ça rassure les personnes qui veulent se faire tatouer. Le lavage des
mains qui est très important. C’est tout un savoir-faire que Patu est en
train de lui transmettre.
La première fois où Patu a
intégré un tatoo chop c’est en 2004 avec Tavae Norbert. C’est son frère Tuatini
qui a fait entrer Patu chez Manao Tatoo, où il a eu la chance d’avoir Manu
Farrarons comme coach. Au niveau technique et propreté hygiène c’est un des
meilleurs. Patu a fait sept ans chez Manao Tatoo, de 2006 à 2013. Il a acquis
de bonnes bases techniques et relationnelles avec les clients.
Patu veut progresser encore plus
et il rentre au Centre des Métiers d’Art. C’est là où tout a vraiment commencé
pour lui. Viri Taimana se souvient d’un jeune homme débordant de vie, un peu
comme un cheval fou qu’il faut dompter. C’est
après qu’ils se rendent compte qu’ils sont passés à côté de tout ce que
disaient leurs parents, leurs grands-parents. Et là commence la recherche.
Volonté d’en savoir un peu plus. Patu découvre petit à petit tout ce qu’il
a manqué pendant sa formation dans les shop. L’histoire et la culture
polynésiennes, qu’il ne connaissait pas du tout. Les légendes, les chants
traditionnels, la conception des flutes nasales, les pirogues, les instruments,
les percussions. La langue aussi. C’est au centre des métiers d’art que le
tatoueur approfondit vraiment la langue tahitienne. Tous les jours le directeur
leur parle en tahitien. Pendant trois ans. Parce que le suc, la substance la
plus délicieuse d’une culture se retrouve dans les mots, dans la manière
d’employer la langue. Viri est très dur,
mais pas pour rien. Pas juste pour faire plaisir ou pour t’embêter. Il est dur
dans le sens où il veut que tu ailles chercher au plus profond de toi, que tu
atteignes tes limites. Parce que l’excellence ne se donne pas. Elle se
mérite. Donc il faut aller la chercher. Peu importe le niveau d’éducation, le
niveau social. Ce qui compte c’est l’effort. Etre à la fin un porteur de
patrimoine. Se rassurer avant tout dans sa pratique du tatouage.
Au Centre des Métiers d’Art Patu
a la chance d’avoir Philippe Aukara comme enseignant en sculpture. Ce nouveau
guide lui apprend beaucoup au niveau de la composition et des motifs.
Aujourd’hui Patu a son propre salon et vit du tatouage. Il fait de la danse et
vit pleinement ce qu’il aime faire. Quand tu aimes ce que tu fais, tu ne peux
qu’être souriant et bien dans ta peau… Pour les jeunes qui le connaissent dans
son quartier et qui le voient évoluer aujourd’hui c’est un très bon exemple.
Aujourd’hui il habite avec sa chérie à Faa’a. Elle s’appelle Eimeo. Ça fait
neuf ans qu’ils sont ensemble. Ça a été dur au début. Elle l’a beaucoup soutenu
dans les moments difficiles. Tout le temps là à remonter la pente. Ne pas
baisser les bras.
Quelques temps après le tournage du film, Patu a tatoué le visage de notre preneur de son Jonathan Picardi, qui avait vraiment accroché sur son travail. Ce fut l'occasion pour lui de remporter un grand prix au festival Tatoonesia avec ce tatouage facial.
Patu
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean--Philippe Joaquim
Une production Emotion
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