jeudi 18 janvier 2018

Patu, la culture tatoo

In Vivo 4




                                                                 Patu




Le concept In Vivo, c’est un voyage au sein du vivant, un observatoire de notre société à travers le regard des détenteurs de la culture populaire. Une culture de tradition, de transmission orale, une culture à la fois endémique et universelle, une culture en voie d’extinction. Peinture naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part à la rencontre de ceux qui à la marge de notre société, en assurent pourtant les fondations. Vivant à la frontière de la pauvreté, ils possèdent une richesse inestimable : la liberté ; et nous montrent la voie vers une certaine forme de bonheur.



Le projet remontait à plusieurs années. Un film consacré au travail de Moana Heitaa, un tatoueur marquisien qui a grandi à Mamao. Moana était partit à Hawaï pour la danse et il avait découvert le tatouage traditionnel là-bas, avec Heisea du studio Soul Pacific Signature



Au début des années 2000 la pratique du traditionnel était encore marginale à Tahiti. Moana s’est lancé dans une vraie quête qui a trouvé son aboutissement aux Tonga, là où il y a une tradition ininterrompue du tatouage aux peignes. Là il s’est fait faire un pea. On avait fait une vidéo en 2012, et puis il était partit vivre à Tahaa avec femme et enfants. 


Sa base pour aller travailler un peu partout, en France, aux Etats-Unis…Un épisode In Vivo était prévu avec Moana, on avait parlé à Tahiti, mais le marquisien a disparu au moment du tournage.


 Jean-Philippe Joaquim m’a alors parlé de Patu, un tatoueur qui a grandi dans le même quartier que Moana, à Mamao. Patu avait une forte personnalité et faisait beaucoup de choses. 


C’est Jean-Philippe qui connaissait Patu, et ce film est plus son film que le mien. Il a mené les entretiens, organisé les jours de tournage et s’est occupé du montage. Tout est allé très vite.


Patu a été faamu tout petit. L’adoption est une tradition vivace en Polynésie. On a rencontré Patu dans son quartier de Mamao. Des baraques de tôle ondulée agglutinées au grand mur de béton de l’ancien hôpital. Patu a grandi là avec sa famille et tous ceux du ghetto. 


Aujourd’hui il vit à Faa’a avec sa femme, mais revient encore tous les jours. Retrouver tonton Joubert, son deuxième papa. Et le papa de tout le quartier… Entraîneur du Mamao Boxing Club, tonton Joubert est né à Papeete le 13 août 1966. Jusqu’à 14 heures il travaille en CAE comme jardinier à la mairie de Papeete. Ensuite il se repose un peu. A 16 heures trente il va attendre ses élèves. Ca fait des années qu’il est là à les attendre.


Patu pratique la boxe anglaise depuis l’âge de 14 ans. Quant il était tout petit dans son quartier et à l’école il était victime de racket. Tous les jours j’avais droit à un petit coup de pied, un petit coup de poing dans la tronche… Pour me prendre mon casse-croûte ou mon argent. Un jour il est venu voir tonton Joubert, il voulait s’entraîner avec lui. Il n’avait que seize ans et il était à soixante-quinze kilos. L’entraîneur lui a dit d’aller voir d’abord son tonton, son papa faamu. Le tonton est venu le voir et lui a dit de prendre son neveu. Depuis le jour où il s’est bien intégré au club de tonton Joubert, les choses on changé… Il faut que ça soit dur l’entraînement. Entraînement facile, combat difficile. Entraînement dur, combat facile. Tonton Joubert a entrainé Patu jusqu’à maintenant. Au fur et à mesure les liens avec tonton Joubert se sont vraiment resserrés. Si j’avais des problèmes conjugaux ou familiaux, j’allais le voir et il était toujours là à m’aider psychologiquement et à trouver les solutions. A me calmer surtout. Enorme et tout sourire, cheveux longs jusqu’aux épaules, casquette américaine vissée à l’envers sur sa grosse tête, tonton Joubert se souvient d’avoir grandit dans la rue. Et presque tous ses élèves aussi ont grandit dans la rue… Je vais bientôt avoir cinquante ans et je vois des jeunes toujours dans la rue. C’est nous comme on était avant. C’est comme si ces jeunes-là ils ont pris notre place quand on avait quatorze ans.


J’aurais pu mal tourner. Dans le quartier c’est pas aussi rose tous les jours. C’est dur d’avoir un travail. Ce qu’on fait après c’est la délinquance et tout ce qui va avec. Ça devient des vices et des jeux d’argent. C’est très difficile pour survivre. Pour survivre, pas pour vivre. Tous les moyens sont bons. C’est dur à te maitriser. Et il faut de bonnes personnes pour pouvoir le faire. Tonton Joubert c’était la bonne personne. 




Après l'entraînement et les sparing il y a une bonne ambiance chez le tonton. Une bringue avec de la famille de Rurutu, de passage sur Tahiti. A la guitare, un jeune homme, aveugle, tire des sons de virtuose. Quelques femmes se mettent à chanter, accroupies en haut d’un escalier de bois…








Toujours à Mamao mais au troisième étage d’un immeuble moderne avec un code d’accès. Nicky descend nous ouvrir, un des membres de l’équipe de Patu. Nicky s’occupe de la partie médiatique, site web, photographie et tout ce qui va avec. Il y a aussi Peniamina qui travaille avec lui, il est en train de le former. Tatouage, dessin, hygiène. Peniamina c’est le fils aîné de tonton Joubert. Patu est en train de dessiner sur Peniamina depuis le matin. Une très grande pièce. La moitié de son corps. Tout tatoué. C’est son premier tatouage, mais il a toujours été attiré par ça. Ça fait deux ans qu’il veut le faire mais il est partit en France poursuivre ses études. Là il est revenu, s’est bien installé, et il a le temps de la faire. De bien travailler dessus. Il faut du courage pour pouvoir supporter toute cette douleur. Patu veut réaliser ce projet en moins d’un mois. Pas trop longtemps non plus, parce qu’après le mental n’y est plus… Ça va piquer à fond… Patu prend ses repères, il va remplir au fur et à mesure. D’abord les traits, ensuite le remplissage. Le principe pour remplir c’est vraiment petit à petit. Comme ça les traits vont vraiment être accentués. Ça va bien être noir.




C’est un peu symbolique par rapport à la boxe. Peniamina c’est la fierté de son papa. Il est heureux que son fils suive des cours de tatouage et se fasse tatouer par Patu. Quand mon fils est avec Patu je me sens bien. Parce que ce que j’ai vécus quand j’étais jeune, j’aimerais pas que mon fils aille par là. Patu a choisi Peniamina parce qu’il faut quelqu’un de courageux. Il connait son mental. C’est quelqu’un qui donne de lui-même et qui veut apprendre. Il enregistre tout, ensuite il va le reproduire. Pour que son travail puisse être pointu. La base c’est le ménage. Il faut que quand les clients entrent ils voient un endroit propre. Ça rassure les personnes qui veulent se faire tatouer. Le lavage des mains qui est très important. C’est tout un savoir-faire que Patu est en train de lui transmettre.
La première fois où Patu a intégré un tatoo chop c’est en 2004 avec Tavae Norbert. C’est son frère Tuatini qui a fait entrer Patu chez Manao Tatoo, où il a eu la chance d’avoir Manu Farrarons comme coach. Au niveau technique et propreté hygiène c’est un des meilleurs. Patu a fait sept ans chez Manao Tatoo, de 2006 à 2013. Il a acquis de bonnes bases techniques et relationnelles avec les clients.


Patu veut progresser encore plus et il rentre au Centre des Métiers d’Art. C’est là où tout a vraiment commencé pour lui. Viri Taimana se souvient d’un jeune homme débordant de vie, un peu comme un cheval fou qu’il faut dompter. C’est après qu’ils se rendent compte qu’ils sont passés à côté de tout ce que disaient leurs parents, leurs grands-parents. Et là commence la recherche. Volonté d’en savoir un peu plus. Patu découvre petit à petit tout ce qu’il a manqué pendant sa formation dans les shop. L’histoire et la culture polynésiennes, qu’il ne connaissait pas du tout. Les légendes, les chants traditionnels, la conception des flutes nasales, les pirogues, les instruments, les percussions. La langue aussi. C’est au centre des métiers d’art que le tatoueur approfondit vraiment la langue tahitienne. Tous les jours le directeur leur parle en tahitien. Pendant trois ans. Parce que le suc, la substance la plus délicieuse d’une culture se retrouve dans les mots, dans la manière d’employer la langue. Viri est très dur, mais pas pour rien. Pas juste pour faire plaisir ou pour t’embêter. Il est dur dans le sens où il veut que tu ailles chercher au plus profond de toi, que tu atteignes tes limites. Parce que l’excellence ne se donne pas. Elle se mérite. Donc il faut aller la chercher. Peu importe le niveau d’éducation, le niveau social. Ce qui compte c’est l’effort. Etre à la fin un porteur de patrimoine. Se rassurer avant tout dans sa pratique du tatouage.




Au Centre des Métiers d’Art Patu a la chance d’avoir Philippe Aukara comme enseignant en sculpture. Ce nouveau guide lui apprend beaucoup au niveau de la composition et des motifs. Aujourd’hui Patu a son propre salon et vit du tatouage. Il fait de la danse et vit pleinement ce qu’il aime faire. Quand tu aimes ce que tu fais, tu ne peux qu’être souriant et bien dans ta peau… Pour les jeunes qui le connaissent dans son quartier et qui le voient évoluer aujourd’hui c’est un très bon exemple. Aujourd’hui il habite avec sa chérie à Faa’a. Elle s’appelle Eimeo. Ça fait neuf ans qu’ils sont ensemble. Ça a été dur au début. Elle l’a beaucoup soutenu dans les moments difficiles. Tout le temps là à remonter la pente. Ne pas baisser les bras.








Quelques temps après le tournage du film, Patu a tatoué le visage de notre preneur de son Jonathan Picardi, qui avait vraiment accroché sur son travail. Ce fut l'occasion pour lui de remporter un grand prix au festival Tatoonesia avec ce tatouage facial.

Patu
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean--Philippe Joaquim
Une production Emotion
26'

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