mardi 23 janvier 2018

Samson, l'art et le combat

In Vivo 5



Sanson, l’art et le combat



Le concept In Vivo, c’est un voyage au sein du vivant, un observatoire de notre société à travers le regard des détenteurs de la culture populaire. Une culture de tradition, de transmission, orale, une culture à la fois endémique et universelle, une culture en voie d’extinction. Peinture naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part à la rencontre de ceux qui à la marge de notre société, en assurent pourtant les fondations. Vivant à la frontière de la pauvreté, ils possèdent une richesse inestimable : la liberté ; et nous montrent la voie vers une certaine forme de bonheur.



Ça faisait plusieurs années que je discutais avec Koky, un vieil homme du quartier Outumaoro à Punaauia. Un curieux personnage, à la fois peintre et guérisseur. Il se voulait l’héritier du fameux Tati, le dernier des mamaia. Aux fils de nos entretiens, il m’avait dévoilé tout un système de médecine traditionnelle, incorporant des formules et des schémas sensés venir de la nuit des temps. Pour Koky, on rentrait dans la tradition ancestrale pendant le sommeil. Le pouvoir de soigner était un don qu’on pouvait accepter ou refuser. Les enfants étaient choisis par les grands ancêtres. Le vieil homme parlait de filiations de l’âme un peu lourdes à comprendre…



Koky était partant pour se confier à ma caméra, et se livrer à une démonstration de ses pratiques. Les thématiques étaient la connaissance des organes, le calcul du remède, la recherche des plantes dans la brousse, comment identifier une plante toxique, la fabrication du remède et enfin la transmission de cette connaissance. Parce que Koky avait un disciple, Charles Pater. Mais lorsque nous sommes arrivés avec l’équipe, Koky a piqué une crise et nous a foutus à la porte, en criant qu’il avait des avocats en Amérique… On est revenus le lendemain, nouvelle crise… 



C’est comme ça que Samson s’est imposé. Samson est le fils de Koky. J’avais beaucoup entendu parler de lui avant de le rencontrer, par plusieurs personnes. Surtout de ses tableaux. Samson est connu à Tahiti pour ses peintures de coqs. Il peint des coqs avec une précision photographique, pour les chinois amateurs de combats de coqs. S’il est connu dans un certain milieu, il n’a jamais exposé ses œuvres dans une galerie. Les clients lui passent directement commande. J’avais aussi entendu parler de Samson comme tatoueur. Il tatoue des coqs. Il est aussi connu comme coiffeur à Outumaoro. Comme cuisinier ailleurs…



C’est chez son papa que j’ai rencontré ce personnage multifacettes. Dans la cuisine, il y avait une grande toile de lui accrochée entre deux étagères. Une toile plutôt singulière. Un christ blond drapé dans une tunique pleine de plis. Samson s’était acharné sur les drapés, il aime quand c’est difficile… Son christ était réaliste mais avait de grands yeux bleus tout droits sortis d’un manga… Le jeune homme a été chercher d’autres grandes toiles dans un réduit obscur, des toiles inachevées mais qui révélaient un vrai coup de patte. Comme son papa, il peignait à l’huile sur de la toile. Mais il n’avait plus trop le temps de peindre, il était trop occupé entre les coqs et sa copine, Hereia, une charmante jeune femme.


Le jeune couple était installé dans un joli fare vert clair avec une grande terrasse, sur une parcelle fleurie, dans une servitude tranquille. Chant des oiseaux et le bruit du vent dans les palmes. Ça changeait de Outumaoro. C’est sur la terrasse que Samson peignait, à la lumière du jour. Comme il n’avait plus d’essence pour la peinture, il utilisait du gasoil, versé dans un petit bouchon. Il avait une commande à honorer. Un coq de combat pour un client chinois.



Samson avait apprit tout seul la peinture, à force de dessiner les ombres des portraits, il était passé à la couleur. C’était facile pour lui la couleur. Il utilisait les couleurs pures, directement sorties du tube, posées sur fond noir, sans mélanger. Un bout de carton comme palette. Au hasard, comme la nature. Au hasard, mais avec une précision photographique. Les coqs ont des couleurs très rares. Pour moi ça vient du paradis. Il y a des gens ils ont des perruches, des inséparables. Il y a des gens qui nourrissent des lapins, des cochons d’inde… Mais nous non. Les tahitiens, c’est des coqs… Partout où tu vas c’est des coqs. C’est pour ça que nous on vend très cher les coqs. C’est moi le maître pour entretenir les ergots. Lisser, bien dur… Parfois on attrape des coqs sauvages, on enlève les ergots… On fait tout ça à la maison. Et on prépare ça pour les week-ends. C’est tout un travail… On va acheter des vitamines en pharmacie, au vétérinaire vacciner… Après on achète des fruits cocktail, sinon des bananes



Tous les juillets à la foire agricole à Vaitupa il y a des élevages, des vaches, des chèvres… Il y a des coqs. C’est là que Samson vendait des coqs. En fait c’est de la recherche. On essaie de trouver le super coq. C’est mon papa qui a fait des croisements. On essaie de ramener toujours la race. On fait des croisements pour avoir de la bonne race. Après ça donne des champions. Quant on s’occupe d’eux ils deviennent des spartiates. Naturellement agressifs, ils recherchent le combat et se battent jusqu’à la mort. Il existe plusieurs types de combattants. Le pamplemousse c’est un indien qui n’a pas peur des coups et des ergots et qui avance toujours dans le combat. En tahitien : moa faatito.



Samson enfourche son scooter pour aller chez Isidore, au gallodrome de Papara. C’est lui qui s’occupe des combattants. Tous les matins il faut masser les coqs. C’est là qu’on rencontre de vieux coqueleurs. Les anciens. C’est ça leur passe-temps. Maintenant il y a beaucoup de jeux, Nitendo, Playstation… Avant, non. C’était ça leur jeu. Un de ces anciens a commencé à quatorze ans, en 1948.
Pour en savoir un peu plus sur le sujet on va rendre visite à l’anthropologue Jean Guiart, qui étudie le Pacifique sud depuis la fin des années quarante. Pendant la guerre les gens n’avaient pas d’argent. Mais vraiment pas d’argent. Alors beaucoup de choses ont disparu provisoirement ou se sont aménagées et ont repris après. Ca jouait avant-guerre. La France gouvernait Tahiti en fermant les yeux sur tout ce qui aurait pu coûter de l’argent. On ne s’en occupait pas. J’ai encore vu la période où c’était vraiment interdit, où on sanctionnait les gens qui organisaient des combats de coqs. Depuis l’autonomie l’administration centrale ne s’en occupe plus. Et alors l’administration tahitienne ne s’en occupe plus. Parce que si elle y touche elle perd des voix. On a essayé de l’interdire mais on n’a pas réussi. Alors elle est tolérée mais normalement elle est interdite. Mais ça c’est fréquent les interdictions qui ne jouent pas de rôle réel, en Europe ça arrive aussi. Tout ce qui est interdit intéresse tout le monde. Les français et les polynésiens s’entendent bien sur ce plan-là. Ils n’obéissent pas.


Le combat de coqs a été introduit par les premiers immigrants chinois. Ici ça a prit partout, dans toutes les îles. Partout où il y avait un commerçant chinois il organisait un combat de coqs, dans la mesure où il avait des coqs de combat. Mais ce n’est pas un trait culturel particulièrement chinois. Ça ne vient pas de Chine. Le combat de coqs est extrêmement ancien en méditerranée et dans tout le sud de l’Asie, et en particulier les Philippines où c’était très organisé. On en trouve partout en Polynésie, avec toujours les même problèmes qui existent en Asie. Mais en Asie c’est souvent corrigé par le fait que c’est les femmes qui gèrent l’argent, et pas les hommes.



Il y a certains hommes qui n’ont pas le temps de voir les femmes, d’abord les coqs. Et quand ils rentrent à la maison ils se discutent avec les femmes. Tu passes le temps à être dans les coqs, tu passes pas le temps avec les femmes…



C’est Isidore qui entraîne les coqs, c’est lui qui coupe les plumes, c’est lui qui masse tout, c’est lui qui donne à manger. Pas un petit travail. C’est le propriétaire du gallodrome, Isidore. Un petit homme avec de grosses lunettes. Une choppe de bière blonde à la main, son chat sur les genoux. C’est lui qui a fait les croisements. Tous les matins il faut mettre les coqs en bas. Les sortir du poulailler et les placer dans des cercles de grillage. On leur donne pas à manger, on donne à boire seulement. On les entraîne, l’après-midi quand c’est finit on range. Demain matin pareil. La même chose. Mettre en bas. Tous les matins. Depuis vingt ans maintenant. Ça fait vingt ans qu’Isidore à cet endroit. Je voyais les combats de coqs qui traînaient seulement en dessous des manguiers. Là j’ai voulu faire quelque chose de bien pour les coqueleurs. Une arène. J’ai fait tout le nécessaire pour qu’on accepte mon combat de coqs. Hé ben c’est autorisé. J’ai pas peur que les gendarmes viennent. Les gens savent maintenant qu’ici il n’y a pas de problèmes.


Les samedis, le dimanche, les grands jours fériés c’est les grands tournois ici. C’est là que la population vient voir les grands combats de coqs. Les chinois, les français, les américains, les tahitiens sont dans les coqs. Il y a des chinois qui amènent de grands champions, des chinois riches. Les chinois ils sont forts pour le combat de coqs. C’est surtout les chinois qui jouent beaucoup.


J’avais huit ans, neuf ans, j’ai eu un copain qui maltraite son coq, qui l’a laissé au bord de la route. Pendant des mois je viens donner à manger, je soigne, après j’ai peur que mon copain me dit de ne pas toucher le coq, j’avais peur de lui… Après il y a un grand-père qui me dit prend le coq, emmène à la maison, tu dois le soigner, donner à manger et tout… Un mois après tous les copains ils ont amené des coqs chez moi. Mon coq il a rossé les cinq coqs en un jour. Un autre jour ils sont revenus. Mon coq il a rossé encore leurs coqs. Mon coq il avait un œil, mais c’était un champion. Il a tué huit fois. Après mon copain il s’est plaint, il voulait récupérer le coq. J’ai dit non, on a fait des croisements et j’ai eu un poulailler. Après on a eu des bons coqs. J’avais douze ans j’ai eu un poulailler. J’avais huit ans j’ai commencé, quatre ans plus tard j’ai eu un poulailler. Juste pour un coq.


Aujourd’hui Lindolf est un des grands amis de Samson. Un coqueleur de Punaauia. Ils se retrouvent pour entraîner les coqs. La date de ponte et les croisements de races sont notés au marqueur rouge sur les œufs qui remplissent la couveuse. Miami Pakistan espagnol, ça c’est pour le combat. Il faut éliminer les défauts de chaque poulet pour avoir quelque chose de parfait pour le combat. C’est un repère obligé pour chaque coqueleur. Quand tu vends ton coq à quelqu’un tu dis ta race mais c’est personnel, c’est toi et lui. Il y a des chinois qui demandent c’est quoi la race, nous on peut pas dire. Si tu dis c’est quoi ta race ça y est on peut te tuer. On va prendre une autre race pour te tuer cette race. Pour tuer un porto c’est un Espagne. Pour tuer un Espagne il faut un faisan. Pour tuer un faisan il faut du pamplemousse. Pour tuer un pamplemousse il faut un shamo. Pour tuer un shamo il faut un thaïlandais black. Papara, Papeete, Paea, tout le monde fait ça.



Un détail très important pour le combat, pour l’équilibre, c’est les plumes. Samson colle des plumes là où il faut. Un peu de colle chauffée au briquet pour que ça tienne. Ça évite que le coq tombe. Il faut aussi teindre le coq avant le combat, pour éviter qu’on identifie sa race. Pour perturber le coq on lui fait faire un huit. Après on le jette en l’air. On le tient à deux mains et on le fait courir sur place. On le perturbe pour lui apprendre à esquiver. On le fait tourner sur lui-même. A la longue le coq devient conscient. Un coq qui montre son gosier il est mort… Si il baisse la tête ça y est il cherche un moyen… Après ils ont des muscles bien durs comme des pierres…



Sanson, l'art et le combat
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean-Philippe Joaquim
Une production Emotion
26 minutes


Jonathan Bougard

jeudi 18 janvier 2018

Patu, la culture tatoo

In Vivo 4




                                                                 Patu




Le concept In Vivo, c’est un voyage au sein du vivant, un observatoire de notre société à travers le regard des détenteurs de la culture populaire. Une culture de tradition, de transmission orale, une culture à la fois endémique et universelle, une culture en voie d’extinction. Peinture naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part à la rencontre de ceux qui à la marge de notre société, en assurent pourtant les fondations. Vivant à la frontière de la pauvreté, ils possèdent une richesse inestimable : la liberté ; et nous montrent la voie vers une certaine forme de bonheur.



Le projet remontait à plusieurs années. Un film consacré au travail de Moana Heitaa, un tatoueur marquisien qui a grandi à Mamao. Moana était partit à Hawaï pour la danse et il avait découvert le tatouage traditionnel là-bas, avec Heisea du studio Soul Pacific Signature



Au début des années 2000 la pratique du traditionnel était encore marginale à Tahiti. Moana s’est lancé dans une vraie quête qui a trouvé son aboutissement aux Tonga, là où il y a une tradition ininterrompue du tatouage aux peignes. Là il s’est fait faire un pea. On avait fait une vidéo en 2012, et puis il était partit vivre à Tahaa avec femme et enfants. 


Sa base pour aller travailler un peu partout, en France, aux Etats-Unis…Un épisode In Vivo était prévu avec Moana, on avait parlé à Tahiti, mais le marquisien a disparu au moment du tournage.


 Jean-Philippe Joaquim m’a alors parlé de Patu, un tatoueur qui a grandi dans le même quartier que Moana, à Mamao. Patu avait une forte personnalité et faisait beaucoup de choses. 


C’est Jean-Philippe qui connaissait Patu, et ce film est plus son film que le mien. Il a mené les entretiens, organisé les jours de tournage et s’est occupé du montage. Tout est allé très vite.


Patu a été faamu tout petit. L’adoption est une tradition vivace en Polynésie. On a rencontré Patu dans son quartier de Mamao. Des baraques de tôle ondulée agglutinées au grand mur de béton de l’ancien hôpital. Patu a grandi là avec sa famille et tous ceux du ghetto. 


Aujourd’hui il vit à Faa’a avec sa femme, mais revient encore tous les jours. Retrouver tonton Joubert, son deuxième papa. Et le papa de tout le quartier… Entraîneur du Mamao Boxing Club, tonton Joubert est né à Papeete le 13 août 1966. Jusqu’à 14 heures il travaille en CAE comme jardinier à la mairie de Papeete. Ensuite il se repose un peu. A 16 heures trente il va attendre ses élèves. Ca fait des années qu’il est là à les attendre.


Patu pratique la boxe anglaise depuis l’âge de 14 ans. Quant il était tout petit dans son quartier et à l’école il était victime de racket. Tous les jours j’avais droit à un petit coup de pied, un petit coup de poing dans la tronche… Pour me prendre mon casse-croûte ou mon argent. Un jour il est venu voir tonton Joubert, il voulait s’entraîner avec lui. Il n’avait que seize ans et il était à soixante-quinze kilos. L’entraîneur lui a dit d’aller voir d’abord son tonton, son papa faamu. Le tonton est venu le voir et lui a dit de prendre son neveu. Depuis le jour où il s’est bien intégré au club de tonton Joubert, les choses on changé… Il faut que ça soit dur l’entraînement. Entraînement facile, combat difficile. Entraînement dur, combat facile. Tonton Joubert a entrainé Patu jusqu’à maintenant. Au fur et à mesure les liens avec tonton Joubert se sont vraiment resserrés. Si j’avais des problèmes conjugaux ou familiaux, j’allais le voir et il était toujours là à m’aider psychologiquement et à trouver les solutions. A me calmer surtout. Enorme et tout sourire, cheveux longs jusqu’aux épaules, casquette américaine vissée à l’envers sur sa grosse tête, tonton Joubert se souvient d’avoir grandit dans la rue. Et presque tous ses élèves aussi ont grandit dans la rue… Je vais bientôt avoir cinquante ans et je vois des jeunes toujours dans la rue. C’est nous comme on était avant. C’est comme si ces jeunes-là ils ont pris notre place quand on avait quatorze ans.


J’aurais pu mal tourner. Dans le quartier c’est pas aussi rose tous les jours. C’est dur d’avoir un travail. Ce qu’on fait après c’est la délinquance et tout ce qui va avec. Ça devient des vices et des jeux d’argent. C’est très difficile pour survivre. Pour survivre, pas pour vivre. Tous les moyens sont bons. C’est dur à te maitriser. Et il faut de bonnes personnes pour pouvoir le faire. Tonton Joubert c’était la bonne personne. 




Après l'entraînement et les sparing il y a une bonne ambiance chez le tonton. Une bringue avec de la famille de Rurutu, de passage sur Tahiti. A la guitare, un jeune homme, aveugle, tire des sons de virtuose. Quelques femmes se mettent à chanter, accroupies en haut d’un escalier de bois…








Toujours à Mamao mais au troisième étage d’un immeuble moderne avec un code d’accès. Nicky descend nous ouvrir, un des membres de l’équipe de Patu. Nicky s’occupe de la partie médiatique, site web, photographie et tout ce qui va avec. Il y a aussi Peniamina qui travaille avec lui, il est en train de le former. Tatouage, dessin, hygiène. Peniamina c’est le fils aîné de tonton Joubert. Patu est en train de dessiner sur Peniamina depuis le matin. Une très grande pièce. La moitié de son corps. Tout tatoué. C’est son premier tatouage, mais il a toujours été attiré par ça. Ça fait deux ans qu’il veut le faire mais il est partit en France poursuivre ses études. Là il est revenu, s’est bien installé, et il a le temps de la faire. De bien travailler dessus. Il faut du courage pour pouvoir supporter toute cette douleur. Patu veut réaliser ce projet en moins d’un mois. Pas trop longtemps non plus, parce qu’après le mental n’y est plus… Ça va piquer à fond… Patu prend ses repères, il va remplir au fur et à mesure. D’abord les traits, ensuite le remplissage. Le principe pour remplir c’est vraiment petit à petit. Comme ça les traits vont vraiment être accentués. Ça va bien être noir.




C’est un peu symbolique par rapport à la boxe. Peniamina c’est la fierté de son papa. Il est heureux que son fils suive des cours de tatouage et se fasse tatouer par Patu. Quand mon fils est avec Patu je me sens bien. Parce que ce que j’ai vécus quand j’étais jeune, j’aimerais pas que mon fils aille par là. Patu a choisi Peniamina parce qu’il faut quelqu’un de courageux. Il connait son mental. C’est quelqu’un qui donne de lui-même et qui veut apprendre. Il enregistre tout, ensuite il va le reproduire. Pour que son travail puisse être pointu. La base c’est le ménage. Il faut que quand les clients entrent ils voient un endroit propre. Ça rassure les personnes qui veulent se faire tatouer. Le lavage des mains qui est très important. C’est tout un savoir-faire que Patu est en train de lui transmettre.
La première fois où Patu a intégré un tatoo chop c’est en 2004 avec Tavae Norbert. C’est son frère Tuatini qui a fait entrer Patu chez Manao Tatoo, où il a eu la chance d’avoir Manu Farrarons comme coach. Au niveau technique et propreté hygiène c’est un des meilleurs. Patu a fait sept ans chez Manao Tatoo, de 2006 à 2013. Il a acquis de bonnes bases techniques et relationnelles avec les clients.


Patu veut progresser encore plus et il rentre au Centre des Métiers d’Art. C’est là où tout a vraiment commencé pour lui. Viri Taimana se souvient d’un jeune homme débordant de vie, un peu comme un cheval fou qu’il faut dompter. C’est après qu’ils se rendent compte qu’ils sont passés à côté de tout ce que disaient leurs parents, leurs grands-parents. Et là commence la recherche. Volonté d’en savoir un peu plus. Patu découvre petit à petit tout ce qu’il a manqué pendant sa formation dans les shop. L’histoire et la culture polynésiennes, qu’il ne connaissait pas du tout. Les légendes, les chants traditionnels, la conception des flutes nasales, les pirogues, les instruments, les percussions. La langue aussi. C’est au centre des métiers d’art que le tatoueur approfondit vraiment la langue tahitienne. Tous les jours le directeur leur parle en tahitien. Pendant trois ans. Parce que le suc, la substance la plus délicieuse d’une culture se retrouve dans les mots, dans la manière d’employer la langue. Viri est très dur, mais pas pour rien. Pas juste pour faire plaisir ou pour t’embêter. Il est dur dans le sens où il veut que tu ailles chercher au plus profond de toi, que tu atteignes tes limites. Parce que l’excellence ne se donne pas. Elle se mérite. Donc il faut aller la chercher. Peu importe le niveau d’éducation, le niveau social. Ce qui compte c’est l’effort. Etre à la fin un porteur de patrimoine. Se rassurer avant tout dans sa pratique du tatouage.




Au Centre des Métiers d’Art Patu a la chance d’avoir Philippe Aukara comme enseignant en sculpture. Ce nouveau guide lui apprend beaucoup au niveau de la composition et des motifs. Aujourd’hui Patu a son propre salon et vit du tatouage. Il fait de la danse et vit pleinement ce qu’il aime faire. Quand tu aimes ce que tu fais, tu ne peux qu’être souriant et bien dans ta peau… Pour les jeunes qui le connaissent dans son quartier et qui le voient évoluer aujourd’hui c’est un très bon exemple. Aujourd’hui il habite avec sa chérie à Faa’a. Elle s’appelle Eimeo. Ça fait neuf ans qu’ils sont ensemble. Ça a été dur au début. Elle l’a beaucoup soutenu dans les moments difficiles. Tout le temps là à remonter la pente. Ne pas baisser les bras.








Quelques temps après le tournage du film, Patu a tatoué le visage de notre preneur de son Jonathan Picardi, qui avait vraiment accroché sur son travail. Ce fut l'occasion pour lui de remporter un grand prix au festival Tatoonesia avec ce tatouage facial.

Patu
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean--Philippe Joaquim
Une production Emotion
26'

lundi 15 janvier 2018

Loulou, le passeur

In Vivo 3

Loulou le passeur 



Le concept In Vivo, c’est un voyage au sein du vivant, un observatoire de notre société à travers le regard des détenteurs de la culture populaire. Une culture de tradition, de transmission orale, une culture à la fois endémique et universelle, une culture en voie d’extinction. Peinture naturaliste de la Polynésie contemporaine, In Vivo part à la rencontre de ceux qui à la marge de notre société, en assurent pourtant les fondations. Vivant à la frontière de la pauvreté, ils possèdent une richesse inestimable : la liberté ; et nous montrent la voie vers une certaine forme de bonheur.



Louis Lalanne est né à Tahiti Papeete le 5 juillet 1953 de père français et de mère paumotu de Ana’a. Sa mère était connue au Queens là où il y a aujourd’hui les arrêts de truck au marché. C’était la grosse boite tahitienne, le Queens, à l’époque où les légionnaires étaient rois. Ca castagnait de partout. Sa mère était une de ces belles jeunes filles qui arrivaient des Tuamotu attirées par les lumières de la capitale, aux tous débuts du CEP. Le père de Louis était un militaire français qui arrivait d’Indochine, et qui est vite repartit vers d’autres théâtres d’opération avec l’armée coloniale.  Louis a été adopté par des chinois à l’âge de un an. Le menuisier Li Chin Fa. Sa mère adoptive était demi chinoise demi tahitienne. Le hakka est sa première langue et Louis le parle mieux que le français. Cependant il n’a jamais vraiment tissé de liens avec la communauté chinoise.



Louis grandit à Raiatea, et vient poursuivre l’école à Tahiti en 1958, en pleine période de trouble. On racontait aux écoliers que Pouvana a Oopa voulait brûler la ville. Aujourd’hui, Louis se souvient de Pouvana comme de quelqu’un de sincère, qui avait des convictions et qui a fait peur au général de Gaule.


C’est à cette époque que Louis connait la pirogue, à travers un ami, Teiva Gérard, qui deviendra plus tard l’entraineur de l’équipe Shell, et dont Louis aura longtemps été le collaborateur technique. Il n’y avait pas encore de fédération, il y avait des clubs inaccessibles au commun des mortels,  il fallait être vraiment puissant pour être un piroguier à l’époque. A l’époque il fallait dépasser les 100 kilos pour prétendre avoir un siège sur une pirogue. Il n’y avait pas de championnat, il y avait des courses corporatives. Les grandes courses avaient lieu lors du tiurai. Chaque club avait sa troupe de danse, représentant chaque district.



Louis et Teiva sont entrés dans le monde de la pirogue tout à fait par hasard, par Gilles Maitere. Ils ont prit le train en route. Gilles Maitere détenait une science, un art. Il avait été initié à la pirogue. Pour Maitere la pirogue c’était un mode de vie, un art et un culte. Au début Louis et Teiva ne comprenaient pas trop. Au fil des entrainements la fédération s’est mise en place. Et petit à petit l’art s’est perdu.


On a perdu la lecture de la mer, la lecture du courant. Et le coup de rame. Tous ces éléments sont nécessaires pour gagner. Aujourd’hui dans la plupart des équipes, les jeunes partent d’un coup de rame rythmé, et terminent avec un coup de rame rythmé. Ce que Louis et Teiva tiennent de Gilles Maitere, c’est le coup de rame du clan de Teva. Le coup de rame d’un clan ennemi. Eux, ils forment le clan de te hoe honu. Le clan de la tortue solitaire. Il faut ramer comme un samouraï. Toute la force vient des jambes. La force ne dure qu’une fraction de seconde et après elle se détend. Il faut être très détendu après le coup. La force remonte des jambes, c’est comme les arts japonais, le maniement du katana : chaque mouvement a un nom. L’angle d’attaque a un nom. Chaque angle a un nom. Le plus important dans le coup de rame du clan de Teva, c’est l’angle d’attaque.



Le coup de rame c’est un geste accompagné de tout le corps. La puissance vient des jambes. Le piroguier tient une rame ancestrale, la pirogue a servit à immigrer. A l’époque où les européens étaient encore au sextant, les navigateurs polynésiens étaient à la lecture de la nature. Ils naviguaient aux étoiles, au positionnement de la lune et la lecture des vents et des courants. Le clapot de la mer et  la position des nuages.



Actuellement on regarde la météo sur internet, on a toutes les données sur un clic mais on ne sait plus lire la nature. On est pauvres en lecture de la nature. Louis Lalanne est plus connu à Tahiti sous le surnom de Loulou. Loulou a commencé sa carrière dans l’armée en Afrique au milieu des années soixante-dix. Au Tchad il a eu l’occasion de palabrer avec les rebelles. « Les rebelles ça va, dit-il, mais ils sont méchants ». Des expériences extrêmes, des situations qui le font rire tout seul lorsqu’il se souvient. Pas de joie, mais d’être encore là. Après le service au Moyen-Orient, il y eut encore l’Afghanistan. D’avoir connu l’enfer renforce la conscience de Louis de vivre dans un contexte magnifique, à Tahiti, loin des du sifflement des balles et des enfants-soldats. Et il fait tout pour aider la jeunesse de son pays à profiter du privilège de cette naissance.



A la fin de ses vingt ans de service Louis dût endosser le costume de retraité, un costume pas évident à porter. En même temps jeune retraité et jeune papa, il a renoué avec la tradition de la pirogue, et passé le costume d’entraineur. Il a retrouvé Guy Temaurii, un rameur hors-pair. Et un entraineur aussi. Guy Temaurii avait son propre coup de rame, un coup de rame qu’il a transmit  à ses élèves. Ballotés de club en club, en 1989 Louis et Teiva fondent le club Te Ui Vaa, avec Karim Cowan, Taaraïhau Franco et Robert Taera. Te Ui Vaa est né de leur désir d’un véritable laboratoire pour la pirogue. Au programme : travailler le coup de rame et ne pas manger n’importe quoi. Te Ui Vaa élimine la viande rouge et le cochon, tous les aliments gras, ce dont le corps n’a pas besoin. Manger plus naturel, taro, uru, maa Tahiti. Il y a de l’acide vitaminé et de l’oméga 3 dans le maa Tahiti. Ca facilite la digestion  et ça ouvre le cerveau. Les adeptes du coup de rame du clan de Teva ont mené leur équipe jusqu’à la Molokai de Hawaï et remporté la Hawaiki nui des îles sous le vent.



Localisé à Punaauia au lieu dit des trois pontons, Te ui vaa a servit de laboratoire pour Shell, qui permettait au club de repérer les bons rameurs à la source. Bénévolement. Le coup de rame du clan de Teva est une technique qui met l’accent sur le relâchement dans le coup de rame. Comme pour la boxe, pour donner de la force à un coup de rame, tout est dans la position du corps et le relâchement. Il ne faut pas ramer comme un galérien pour donner de la vitesse à un vaa : tout est dans l’art du coup de rame, l’alliance subtile entre force et souplesse.



En 2012 Te ui vaa a enfin obtenu de la commune de Punaauia de faire ériger une pierre monumentale au lieu-dit des trois pontons, à la mémoire de Gui Temaurii. Ce premier mémorial Guy Temaurii, à été l’occasion d’une des plus belles bringues de l’histoire du club, réunissant une trentaine de musiciens autour des charismatiques figures d’Angelo et de Barthélémy.



Maintenant que ses enfants sont grands, une de ses filles avocate à New-York, une autre anthropologue spécialisée en criminologie au quai d’Orsay à Paris, son dernier garçon un des espoirs cadets de la rame polynésienne, Loulou utilise tout ce qu’il a pu acquérir comme petites astuces. Pour mettre un peu de beurre dans les épinards, Louis diversifie les systèmes. Il récolte et vend chaque fin de semaine les produits de son grand faapu de la presqu’île. Les grosses papayes, les tomates, les concombres et autres fruits de la terre. Lorsque c’est la saison, il envoie ses enfants faire des paquets de litchis. Lorsqu’il nous ouvre les portes de son faapu de la presqu’île Loulou met l’accent sur la production agricole familiale, le jardin. La guerre c’est le désarroi complet, la ruine, la mort. La peur. La production agricole, c’est tout le contraire.  En vendant des litchis au bord de la route, ses enfants ont gagné 100 000 francs d’argent de poche pour le dernier Noël. Comme dit Louis : « au moins ce n’est pas de l’argent volé ». Lorsque la récolte du faapu est insuffisante pour répondre aux besoins de Louis et des siens, il reste le négoce des perles, qu’il connaît bien. Depuis peu, le vieux piroguier s’est lancé dans l’exploitation d’un gisement de phosphate aluminium, un minerai dont est riche son motu de Anaa aux Tuamotu. Des blocs d’une pierre prisée par les sculpteurs chinois. Une belle pierre semi-précieuse qui ressemble un peu au jade, un jade un peu translucide. Il revient d’Australie où il été dans le bush acheter un stock de toiles aborigènes, toiles que sa fille à ramené à son ex-femme qui a une galerie à New-York. Les tableaux sont partis comme des petits pains, alors Loulou continue. La suite du programme c’est un périple en Micronésie à bord de la grande pirogue Fafapiti de son ami Hervé. En quête d’objets d’art dans les îles reculées. C’est toujours en mouvement que les choses arrivent.


Loulou
Un film écrit et coréalisé par Jonathan Bougard
Coréalisé par Jean-Philippe Joaquim
Une production Emotion
26'