mercredi 19 février 2025

Te Pufenua, une œuvre fondatrice de Vaiere Mara


  La sculpture "Pufenua" de Vaieretiai Mara, réalisée en corail blanc fossilisé dans les années 1980, est une œuvre profondément symbolique ancrée dans les traditions polynésiennes. Le titre lui-même, "Pufenua", signifiant "placenta" en tahitien, oriente immédiatement l'interprétation vers la naissance, la vie et la continuité générationnelle.

La forme organique et abstraite de la sculpture évoque la complexité et la richesse du placenta, organe essentiel à la vie du fœtus. Les formes entrelacées et les textures rugueuses pourraient représenter le lien intime et nourricier entre la mère et l'enfant, mais aussi la complexité du processus de la naissance et les multiples transformations qu'il engendre. On peut y voir une représentation presque abstraite, mais empreinte d'une forte émotion et d'une poésie sensible. La matière même, le corail fossilisé, renforce cette idée de temps long, d’histoire et de transformation.



Le choix du corail blanc fossilisé est donc lui aussi chargé de sens. Le corail, élément organique transformé en pierre, symbolise la pérennité et la transformation au cours du temps. La fossilisation évoque le passage du temps, la mémoire ancestrale, le cycle de la vie et de la mort. Le blanc, couleur de pureté et de sacralité, souligne l'importance de ce moment unique et sacré de la naissance.


En Polynésie française, la tradition de planter un arbre sur le placenta enterré souligne l'idée de la continuité et de la croissance. L'œuvre de Mara résonne avec cette tradition en symbolisant cette continuité de vie, la croissance de l'enfant à partir du lien vital représenté par le placenta. La sculpture devient alors un témoignage de l’origine, une célébration de la vie et du lien fondamental entre l'être humain et la nature. Elle exprime une vision cyclique, où la vie naît, se développe, se transforme et se perpétue à travers les générations.


On peut ainsi lire "Pufenua" comme une œuvre qui transcende la simple représentation du placenta pour exprimer un message universel sur la naissance, la maternité, la vie, la mort et la transmission des valeurs culturelles. C'est une méditation sculptée sur l'origine de la vie et son lien indissoluble avec la terre et l'histoire familiale.


Une œuvre puissante et énigmatique qui appelle donc à une interprétation profonde ancrée dans les traditions polynésiennes. Les personnages entrelacés et déformés, évoquant un cordon ombilical, suggèrent plusieurs niveaux de lecture. La forme organique et l'entrelacement des corps rappellent immédiatement le cordon ombilical, symbole primordial de la vie et de la connexion entre la mère et l'enfant. La sculpture peut ainsi être interprétée comme une représentation de la naissance, de l'émergence de la vie, et de l'interdépendance des êtres humains dès leur conception. Le caractère déformé des figures pourrait symboliser les difficultés et les imperfections inhérentes à la vie, ainsi que la force et la résilience nécessaires pour surmonter les obstacles.




En Polynésie, la famille et la communauté occupent une place centrale. Les figures entremêlées peuvent symboliser les liens familiaux forts, les relations complexes et les interactions au sein d'un groupe. L'unité, même dans la différence et l'imperfection, est mise en avant. Le corail, matériau organique et vivant, renforce cette idée de communauté interconnectée et de lien au cycle naturel.


Certaines mythologies polynésiennes évoquent une création du monde à partir du chaos primordial. Cette sculpture, avec sa forme organique et son entrelacement complexe, pourrait représenter cette phase initiale de création, où les éléments se mêlent et s'organisent pour former un ensemble cohérent. Le corail fossilisé, vestige d'un passé lointain, donne une dimension temporelle à cette interprétation.

L'utilisation du corail, matériau issu de l'océan, est significative. En Polynésie, l'océan est une source vitale, mais aussi un élément puissant et parfois dangereux. La sculpture pourrait alors symboliser la relation complexe entre l'Homme et son environnement, la dépendance vis-à-vis de la nature, et le respect qui lui est dû.


La déformation des corps pourrait également faire allusion à un état spirituel, transcendant la forme physique. La fusion des personnages suggère une unité spirituelle, une connexion au-delà du monde matériel. 


"Te Pufenua" est donc une œuvre riche en symboles et en interprétations possibles. Son lien avec les traditions polynésiennes est évident, faisant appel à des thèmes universels de la naissance, de la vie, de la communauté, de la création, du lien à la nature et de la spiritualité. L'artiste utilise le matériau et la forme pour créer une œuvre profondément évocatrice et chargée de sens. L'absence d'une explication précise de l'artiste laisse place à une interprétation libre et personnelle, laissant le spectateur explorer la profondeur de son message.




Mara, artiste tahitien reconnu, s’est démarqué par son style expressif, différent des représentations souvent associées à l’art traditionnel polynésien. « Pufenua » illustre cette rupture, cette volonté de dépasser les canons esthétiques établis. On observe un mouvement vers l’abstraction, une exploration de formes organiques et une expression émotionnelle intense qui est aussi une interrogation sur l'identité polynésienne moderne. Il ne s'agit pas d'une simple rupture, mais plutôt d'une réinterprétation des thèmes fondamentaux de la culture polynésienne, comme la généalogie, la relation à la terre et à la mer, et la communauté, à travers un langage formel moderne.


Dans l’histoire des arts polynésiens, « Pufenua » peut être considérée comme une œuvre fondatrice. Elle témoigne d'une évolution artistique, reflétant l'influence des courants artistiques internationaux tout en conservant des racines profondes dans l’imaginaire et les préoccupations de la culture polynésienne. L’utilisation du corail fossilisé, un matériau local chargé de symbolique (vie, mort, temps), est une manière de connecter l'œuvre à l'histoire et à la terre de l'artiste tout en explorant une nouvelle voie formelle. « Pufenua » est une œuvre majeure qui interroge la tradition, tout en la remettant en perspective par le prisme d'une vision contemporaine et profondément personnelle de l'artiste. Sa place dans l'histoire de l'art polynésien est celle d'un pont entre la tradition et la modernité.


Te Pufenua de Vaiere Mara

Corail blanc fossilisé

Provenance collection Rosalie ***

Collection particulière, Punaauia

Rendu public dans l'article Réhabilitation du plus grand sculpteur polynésien, dossier par Ariitaimai Amary. Tahiti Pacifique Magazine du 23 août 2019

Présenté au public lors de la journée mondiale de l'art à l'UPF en 2022

vendredi 14 février 2025

Le Tiurai de Vaiere Mara

 


Ce bas-relief de Vaiere Mara, représentant une scène de tiurai des années 1960, est une œuvre remarquable qui capture l'atmosphère et l'énergie de cette importante tradition polynésienne. Commandé par le gouvernement de la Polynésie française, il témoigne de l'intérêt pour la préservation et la promotion du patrimoine culturel tahitien à cette époque. C'est actuellement la seule œuvre du sculpteur appartenant à la Polynésie française. 





Le style de Mara est immédiatement reconnaissable : une simplification des formes, une expression forte des émotions par le jeu des lignes et des volumes. Il y a une certaine monumentalité dans la représentation des personnages, qui sont rendus avec une force et une dignité palpable. Le bas-relief n’est pas simplement une représentation descriptive d’une scène de tiurai ; il suggère un sentiment d'unité et de communauté, reflétant l'importance sociale et rituelle de cet événement. La foule attentive au premier plan contraste avec l’énergie de la danse, créant un dynamisme visuel captivant.





Le bas-relief est divisé en trois principales sections, chacune racontant un aspect de l'événement. Une scène principale de danseuses et danseurs en costumes traditionnels au centre, arborant des coiffes élaborées, exécutant des mouvements dynamiques. L'attention portée aux détails des costumes et des coiffures est remarquable. Autour des danseurs principaux, on observe un public nombreux et expressif, dont les visages individualisés témoignent d'un engagement total dans le spectacle. Détail croustillant, un des spectateurs tient une radio dans ses bras, seul indice de modernité qui permet de dater la scène au vingtième siècle plutôt qu'aux temps anciens.





A l'époque ces festivités avaient lieu place Vaiete, et Madeleine Moua et Coco Hotahota restauraient cette tradition un temps occultée en modernisant les costumes et les pas de danse. La présence d'un groupe de trois musiciens à droite de la composition, l'un tapant du to'ere et les deux autres battant du pa'hu, évoque l'aspect musical crucial du tiurai.





Le style de Mara est expressif et énergique. L'artiste n'a pas cherché à créer une représentation photographique de la scène, mais plutôt une interprétation stylisée. Le traitement du bois est brut et accentué, avec des lignes profondes qui créent un contraste frappant entre lumière et ombre, accentuant la profondeur et la texture de la sculpture. Le style, bien qu'unique à Mara, s'inscrit dans une certaine continuité avec les traditions de sculpture polynésiennes, mais il affiche aussi une modernité dans sa manière de représenter le mouvement. La simplification des formes et l'accent sur l'expression des visages donnent à l'œuvre une force évidente.





Ce bas-relief est important car il documente de l'intérieur une période spécifique de l'histoire culturelle de Tahiti. Jusque là les observateurs à laisser une trace étaient tous des étrangers, les agents d'un pouvoir colonial. Pour la première fois un artiste tahitien témoigne de la vitalité du tiurai, et de son évolution vers le festival Heiva que nous connaissons aujourd'hui. L'œuvre de Vaieretiai Mara est significative car elle montre la fusion entre les traditions artistiques polynésiennes et l'interprétation personnelle de l'artiste. Elle représente une étape importante dans la représentation artistique de la culture tahitienne, en combinant les traditions narratives de la sculpture polynésienne avec une approche plus moderne et expressive. Le bas-relief de Mara est donc non seulement une œuvre d'art, mais aussi un document historique et ethnologique précieux. Il contribue à préserver et à transmettre un aspect particulier du patrimoine culturel tahitien, à travers un langage visuel puissant et intemporel.




Le fait qu'il soit conservé au ministère du tourisme soulève une interrogation légitime. Bien que cela puisse être justifié par un lien direct avec la promotion du tourisme tahitien, son exposition au sein du Musée de Tahiti et des îles serait sans doute plus appropriée. Le musée, dédié à la préservation et à la présentation du patrimoine culturel de la Polynésie française, offrirait un cadre plus adéquat pour la conservation et la mise en valeur de cette œuvre majeure de Vaiere Mara. Son exposition dans un musée spécialisé garantirait une meilleure protection et une accessibilité plus large au public, ce qui permettrait une meilleure appréciation de l'importance historique et artistique de l'œuvre. Sa présence au ministère du tourisme pourrait limiter sa visibilité à un public plus restreint.





Le Tiurai de Vaiere Mara

Grand bas relief marqué Mara V en bas à droite

Fin des années 1960, début des années 1970

Conservé par le ministère du tourisme polynésien


Jonathan Bougard le 14 février 2025

mercredi 12 février 2025

Le cercle de la vie, une sculpture oubliée du jeune Vaiere Mara qui refait surface en Californie

 

Le cercle de la vie, de Vaieretiai Mara


La sculpture présentée est une œuvre de Vaieretiai Mara, sculpteur tahitien. Datée de 1962, elle représente une scène de vie familiale, disposée en relief sur une pièce de bois brute qui conserve son aspect naturel. Longtemps supposée perdue, cette pièce maitresse du sculpteur a refait surface le 15 mai 2022 en Californie, lors d'une vente aux enchères de Clark Auction Company. Acquise par un collectionneur polynésien, cette 
œuvre cruciale dans le parcours de Mara est aujourd'hui de retour à Tahiti, où elle attend d'être présentée publiquement. 

L'œuvre met en scène plusieurs personnages, un couple et des enfants, assis ou accroupis dans des niches creusées dans le bois, évoquant une grotte. Leurs poses sont relativement statiques, mais leurs visages montrent une certaine expressivité, même si les traits sont stylisés. Il y a un sentiment d'intimité et de contemplation qui se dégage de la composition. Le style est assez brut, non-fini dans son aspect général, laissant apparaitre l'essence du bois, mais avec une attention particulière au modelé des personnages qui restent très expressifs.


Des enfants qui semblent dormir


Cette sculpture de Vaiere Mara, réalisée en 1962, est une œuvre profondément personnelle reflétant le contexte familial et émotionnel de l'artiste à ce moment précis de sa vie. À 26 ans, marié depuis deux ans et père de deux jeunes enfants (une fille de deux ans et une petite fille récemment adoptée), avec un fils de six ans vivant chez ses grands-parents, Mara exprime dans cette pièce une complexité émotionnelle palpable.

Les figures humaines y sont disposées de manière suggestive. On y voit des personnages assis, semblant se regarder, se parler, ou peut-être simplement coexister dans un même espace. L'arrangement rappelle un groupe familial, avec les personnages disposés autour d'un espace central vide ou creux, qui pourrait symboliser le cœur de la famille, ou l'absence physique de l'un des enfants.



Le style brut et expressif de la sculpture laisse transparaître une émotion brute. Les personnages ne sont pas idéalisés ; ils présentent une simplicité presque naïve, laissant place à l'interprétation. Les traits sont sommaires, mais l'expression des visages, bien que difficilement définissable avec précision, évoque un sentiment de mélancolie, de contemplation ou d'une douce inquiétude.

L'absence du fils aîné, confié aux grands-parents, pourrait être une source de cette émotion. La sculpture pourrait représenter la tension entre le désir de l'artiste d'être une figure paternelle présente pour ses trois enfants et la réalité des contraintes de son existence, de l'adoption récente et de la séparation imposée par la distance géographique. La forme même du bois, travaillée en creux et en relief, symbolise peut-être cette séparation, cette dualité entre présence et absence, joie et inquiétude.



Cette sculpture n'est pas qu'une simple représentation familiale. Elle est le reflet d'un instant intime et poignant dans la vie de l'artiste, une expression sculptée de ses sentiments et de ses responsabilités paternelles, une conversation silencieuse et profonde taillée dans le bois. Elle témoigne d'une sincérité brute et d'une émotion authentique, rendant l'œuvre puissante et émouvante.

Le cercle de la vie de Vaiere Mara se situe dans un contexte post-colonial. Alors que les arts traditionnels polynésiens privilégiaient souvent des formes plus abstraites et symboliques – pourtant parfaitement expressives - liées aux croyances et aux rituels, l'œuvre de Vaiere Mara présente une approche plus figurative et narrative. Elle reflète une certaine évolution de l'art océanien au XXe siècle, qui intègre des influences occidentales tout en conservant une esthétique et une matière première du patrimoine polynésien.



 L'œuvre n'est pas purement traditionnelle dans sa représentation, ne cherchant pas à représenter les divinités ou les mythes ancestraux. On peut cependant percevoir une affinité avec la sculpture sur bois traditionnelle de Polynésie, à travers l'utilisation du bois comme support principal et des techniques de sculpture. L'impact de l'art occidental est suggéré par l'approche plus naturaliste des figures humaines, même si ces dernières restent stylisées.

En résumé, la sculpture de Vaiere Mara offre une perspective intéressante sur la transition entre les traditions artistiques polynésiennes et les influences extérieures, créant un dialogue entre le passé et le présent, une expression de la modernité à travers un langage profondément enraciné dans la culture et la matière du Pacifique. On pourrait la situer dans un courant plus large de renouveau artistique propre aux milieux autochtones qui aspirent à une représentation de leur culture et de leur histoire à travers un art contemporain, empreint de leur tradition. 






Le cercle de la vie de Vaieretiai Mara.
Grand relief en bois sculpté représentant une famille dans une grotte. 
Marqué Mara Tahiti 1962.
Provenance Californie vente Clark's auction company du 15 mai 2022.
Collection privée, Tahiti.
Environ 82 H x 44L x 10 P cms.



Jonathan Bougard le 12 février 2025







jeudi 4 janvier 2024

La longue attente de l'ange

Jean-Luc Bousquet en pleine forme

Jean-Luc Bousquet nait à Anthony en banlieue parisienne le 4 septembre 1961 (le même jour qu'Antonin Artaud.) Bousquet parle souvent d’Artaud. ‘’Artaud c'est pas un travail, c'est un personnage’’. Un être qui vivait totalement son expression. Un autre sens à l'humain que celui que la société propose. 
Jean-Luc Bousquet au travail

Un autre sens à l'humain

Il y a un événement fondateur dans la personnalité de l'artiste Bousquet, qui explique en partie cette nécessité d'être en dehors du monde et cette volonté d'exprimer. Dans sa petite enfance, à l'âge de un an, Bousquet est victime de ce qu'on appelle aujourd'hui un accident domestique : il se renverse une casserole d'eau bouillante sur le visage. A l'hôpital, on le plâtre et on l'attache dans une cage stérile pour ne pas qu'il se gratte ses plaies. Coupé du monde, l'enfant subit une régression formidable. Cet événement fera de Bousquet un homme très intériorisé, timide. Un enfant qui s'exprime beaucoup plus par le dessin que par la parole. 

Bousquet s'acharne sur les petites touches

Coupé du monde

Le peintre passe toute son enfance au Havre, une ville portuaire. La Manche, ce n’est pas la jolie mer. Mais l'ouverture sur l'espace maritime. Difficile de s'en passer. C'est une enfance difficile dans un cadre conflictuel exécrable. Trois mômes avec une maman qui bosse. Une mère débordée. A quinze ans, Bousquet fera une tentative de suicide. L'adolescent est complètement branché BD. C'est l'époque de Métal Hurlant, Pilote, A Suivre... Il se lie avec trois ou quatre dessinateurs guitaristes, dont un qui dessinait comme un dieu. ‘’La dernière fois que j'ai eu de ses nouvelles, il y a une dizaine d'années, il faisait de la BD porno’’. La peinture à l'huile viendra plus tard. Aujourd'hui à Vaiare, cette vie qui lui semble si lointaine, ce pourrait être celle d'un autre... Il donne des cours et la pratique de son art donne un sens à sa vie. Il fait ça parce qu'il ne peut pas faire autre chose. Dans l'emportement. 

Sur les hauteurs de Moorea

Le jeune Bousquet rêve de faire les beaux-arts mais ça ne fonctionne pas. Il réussit à avoir le bac. Il bosse deux ans, et puis part en voyage avec une copine. En 4L pendant huit mois autour de la méditerranée. Un grand voyage en Italie, en Grèce et puis jusqu'en Egypte. Les trois civilisations fondamentales dans l'histoire de l'art. Au retour il se met à peindre. A Nice il rencontre un peintre portugais avec un atelier spacieux dans un sous-sol, le tout éclairé au néon. Taraio avait une exposition prévue à la fin de l'année. Plus le temps passait, plus ça devenait angoissant : le cercle infernal. Taraio avait été formé à l'ancienne par un vieux maître portugais : ‘’Tu restais dans un coin de l'atelier à ranger le matériel et balayer les déchets. Et après on te mettait un peu sur une toile, sur les fonds. Ensuite seulement on te mettait sur les mains de l'ange et la robe de la madone’’. Bousquet dessinait très bien les mains et les pieds. Mais il y avait cette ambiance difficile avec le maître qui picolait... 
Parmi les proches du peintre, le sculpteur de Moorea Jonathan Mencarelli

Bousquet fréquente des artistes de l'île. Il s'est fait tatouer au peigne par Purotu. En échange il a donné des cours de peinture au tatoueur de Moorea.

Fin de journée

Bousquet réussit le concours de l'école normale et devient instituteur à Draguignan, dans le Haut-Var. Ça va durer 13 ans. Tranquillité financière, paye de fonctionnaire, Bousquet fait de la peinture mais pas pour exposer. Jeune papa, ça dure six ans comme ça. Fin de l’histoire, le couple divorce. A l'époque le jeune instituteur habite une ancienne poissonnerie dans un petit village de Provence aux rues étroites, Les Arcs. Un vieux commerce d'antan avec deux portes qui donnaient sur le trottoir. Une pièce carrelée ou il n'y avait pas de lumière du tout, presque une cave. Impossible de passer les premières grandes vacances seules avec son fils dans ce cadre. 

Jean-Luc Bousquet reçoit la visite du réalisateur Jean-Philippe Joaquim


Le jeune père et son fils s’envolent pour Tahiti. Ils ont droit au tour de l'île et séjournent dans une belle maison en bord de mer... L'angle de vue s'ouvrait à l'infini, de tous les côtés. Perception de l'impossible, de l'infini. ‘’Le grand attrait de ce pays, c'est l'immensité’’. 

Le grand attrait de ce pays, c'est l'immensité

Bousquet fait le plein de soleil. Il rencontre Géraldine, une jolie petite vahiné toute fine. Elle repart avec lui en France. Ça dure un an et demi et puis l’instituteur se met en disponibilité : c'est la nouvelle vie qui commence. Bousquet peint et prépare une exposition. Un an de travail. Il commence à travailler les fonds, et les trois derniers mois, les trois mois fatidiques, il s'acharne un peu dessus, et fait ressortir des trucs. Des trucs pas forcément clairs. 

Des trucs pas forcément clairs

Bousquet a suivi le chemin des crêtes jusqu'au moua puta, la montagne percée. Bousquet est revenu de son Odyssée de l'obscur. Il parle de l'épure. C'est tout le travail d'un artiste. Pas les fioritures. Pas le rococo. Pas les trucs baroques. La précision et la caresse du pinceau. De la méditerranée à l'Océanie, l'aigle de Prométhée est devenu l'apaisement, l'ange, la fin du calvaire. Ça ne se sera pas fait en un jour.

Portrait de Bousquet réalisé en 2014



Jonathan Bougard, texte publié en décembre 2014, archivé le 4 janvier 2024

mardi 26 décembre 2023

Chief Miko et la navigation traditionnelle

 Chief Miko et la navigation traditionnelle

Chief Miko tient la barre de la pirogue Alingano Maisu lors d'une navigation entre Palau et Yap
 
Chief Miko et ses To'ere. Hawaï 2022

Elevé par son grand-père entrepreneur et constructeur de pirogues, Michel apprend que son père construit des bateaux à Honolulu. A Oahu il découvre que son père est un original, très connu sur l'île, qui vit à la mode des anciens et qui chasse dans la montagne. Le jeune homme est adopté par la famille Kamalamalama, une famille de musiciens de Waikiki. Le père Billy Richmond est en train de faire le moule de la pirogue Hōkūleʻa.

 Il est un des membres fondateurs de la Polynesian society de Hawaï. Tous ces gens sont en quête de leur identité. Ils cherchent d’où ils viennent. En 1976 Michel rêve de prendre part au voyage inaugural de la pirogue entre Hawaï et Tahiti, malheureusement il est trop jeune. Il n'a que seize ans. Il faut avoir 21 ans pour embarquer sur la pirogue. Après une année intermédiaire pour apprendre la langue, il rentre à la High School de Oahu. Au terme de deux années, il obtient son High School diplôme, l’équivalent du baccalauréat. Il est certifié arboriste et crée son entreprise d'élagage, Genesis tahitian tree service. Ca marche très bien, il emploie une douzaine de travailleurs et obtient de gros contrats en Californie. En 1990 le jeune Michel Pouira Kreiner est millionnaire en dollars. C'est à cette époque qu'il commence à organiser de grandes fêtes polynésiennes et se remet à sculpter le bois des arbres qu'il coupe. Il travaille beaucoup mais n'a pas le temps de participer aux grandes traversées traditionnelles de Hōkūleʻa. Il doit se contenter de prendre part à de petites navigations. 

Chief Miko à bord de  Hōkūleʻa

En 1992 Michel Pouira Kreiner prend part à la création de l'organisation Nā Kalai Waʻa Moku o Hawaiʻi aux côtés de Milton Bertelmann et de son frère Clay. A partir de 1994 ils entament le chantier de Makali'i, une pirogue traditionnelle de 16,5 mètres.  De février à mai 1999 Michel embarque avec les frères Bertelmann dans une navigation pour Satawal, traversée connue sous le nom de "E Mau, voyage vers la terre du maître". Mau Piailug est à bord en tant qu'invité d'honneur. Michel Pouira Kreiner poursuit le voyage durant plusieurs mois et visite les confins de la Micronésie.

C'est alors qu'il prend le nom de Chief Miko. A partir de là, Chief Miko laisse ses enfants gérer son entreprise d'élagage et il ne va plus se consacrer qu'à la navigation, la sculpture et la culture. 

A  la suite de la traversée "E Mau",  l'organisation Nā Kalai Waʻa Moku o Hawaiʻi se lance dans le projet d'offrir une pirogue traditionnelle à Mau Piailug, en remerciement de ses services rendus à la science de la navigation ancestrale aux étoiles. A Kawaihae, Chief Miko participe activement à la construction de cette pirogue nommée Alingano Maisu. Il  sculpte la proue de la pirogue d'un albatros, sur les indications de Mau Piailug. La pirogue est offerte à Mau Piailug dans le cadre du voyage de Hōkūleʻa de 2007 nommé "Kū Holo Mau". Miko tient la barre de la pirogue jusqu'à l'île de Satawal, où le 18 mars 2007, Mau préside la première cérémonie pwo pour les navigateurs depuis 56 ans.  Cinq autochtones hawaïens et onze autres personnes sont intronisés au Pwo en tant que maîtres navigateurs, dont Nainoa Thompson et le fils de Mau, Sesario Sewralur. 

Chief Miko sur le chantier de la pirogue Alingano Maisu

Chief Miko sculpte la figure de proue 


Chief Miko et l'albatros sculpté à la tête de la pirogue Alingano Maisu


Arrivée des pirogues Hōkūleʻa et Alingano Maisu à Satawal en Micronésie

Mau Piailug durant la cérémonie pwo

Chief Miko durant la cérémonie Pwo

Chief Miko masse les pieds de Mau Pailug

Chief Miko lors de l'anniversaire de Mau Piailug à Hawaï big island



Jonathan Bougard